L’apprentissage d’une nouvelle langue est un exercice éreintant, que l’on ait 25 ou 50 ans. À effort égal, on pense pourtant que s’instruire est plus facile dans sa jeunesse : plus de temps, plus de patience, plus de motivation… Mais en est-on vraiment certains ? Enquête.
Photo de couverture : Clémentine Laurent
Que l’on déménage à Barcelone à 23, 30 ou 55 ans, si l’on ne parle pas espagnol, on se rend vite compte que la vie quotidienne est complexe. Vient alors le temps de l’apprentissage de la langue, et certains esprits pourtant volontaires se brident en se disant que c’est trop tard, « qu’à 50 ans, de toute manière, on n’apprend plus rien ». Idée reçue ou réel argument ? Peut-on, même avec toute la bonne volonté du monde, réapprendre une nouvelle langue après tant d’années sans avoir mis les pieds dans une salle de classe ?
L’apprentissage d’une nouvelle langue est ce que l’on définit comme une tâche complexe. Cela nécessite d’assimiler un nouveau système de mots, de nouvelles règles de grammaire, de conjugaison : bref, tout un mode de pensée inédit. Et si cette initiation est plutôt aisée au début de la vie, on remarque rapidement que plus on prend de l’âge, moins les choses nous paraissent faciles. Il y a une raison scientifique à tout ça, nous explique le Dr. Hari Bhathal, neurologue au Centro Médico Teknon à Barcelone : « À partir de 25 ans, la neuroplasticité du cerveau est moins évidente. On peut toujours apprendre, certes, mais ça va être plus difficile et demander deux fois plus de temps, d’investissement et de répétition que lorsqu’on est jeunes ». La neuroplasticité, c’est la fonction de la transformation des circuits cérébraux. Ceux-ci sont très actifs durant les deux premières décennies de la vie et influent sur nos compétences apprenantes, continue le neurologue : « Il faut donc apprendre les tâches les plus complexes comme les langues ou la musique avant ses 25 ans ».
« Revenir en classe, pour moi c’est une vraie chance »
Cela veut-il dire qu’après avoir fêté un quart de siècle, on ne peut plus rien assimiler ? Certainement pas, répond le Dr Bhathal : « Le cerveau est un muscle et si on ne l’utilise pas il s’atrophie. Avec l’âge, le muscle est plus rigide, c’est certain, mais si on apprend tous les jours, sa vitalité est maintenue en forme. Et, qu’on le veuille ou non, le cerveau apprend jusqu’à sa mort ». Il faudrait donc, comme avec n’importe quel muscle, entrainer le cerveau pour le maintenir en bonne santé.
Constat partagé par Paula, professeure d’espagnol à World Class Bcn, dans le Raval : « Je ne pense pas que ce soit une question d’âge, mais bien une question d’habitude. Si ça fait trente ans que la personne n’a rien appris, effectivement ça va être beaucoup plus difficile ! ». Dans sa classe, Paula ne voit aucune différence entre les moins jeunes et les plus jeunes. Les plus de 30 ans sont d’ailleurs majoritaires dans les cours du soir qu’elle donne, de 19h à 21h. En effet, cet horaire leur permet de venir après le boulot mais encore faut-il avoir la volonté d’apprendre et de se déplacer après 8 heures de travail.
Photo : Equinox
Piotr, un Polonais de 40 ans qui habite la cité comtale depuis un an et demi, est l’un des courageux qui viennent, deux fois par semaine, s’initier à l’espagnol auprès de Paula. Une motivation qu’il a mis du temps à acquérir, confie-t-il : « Quand je suis arrivé, je ne parlais presque pas la langue, mais j’ai attendu un an avant de m’inscrire aux cours. Le déclic, c’est que j’en ai eu marre de ne pas comprendre ce qu’il se passait autour de moi ». Mais ne se sent-on pas étranger – ou du moins étrange – en revenant à l’école à 40 ans, après une quinzaine d’années hors des classes, de leurs cahiers et de leurs notes ? « Pas du tout », nous répond Piotr. Aujourd’hui en cours de niveau A2, il souhaite continuer jusqu’à être capable de « communiquer facilement avec les locaux ». Un objectif qui le pousse à se rendre aux cours, même si, dans son cas, venir physiquement à l’école représente un autre avantage : « Revenir en classe, pour moi c’est une vraie chance. Je travaille de chez moi donc ça me fait une sortie, je rencontre des gens et en plus j’apprends, ce n’est que bénéfique ».
Pour Piotr, la conclusion est claire, il faut continuer à apprendre et se forcer à le faire. Pour le lien social, oui, mais surtout pour garder un cerveau en pleine forme. Et quand on sait qu’à l’horizon 2070 le nombre de personnes âgées de plus de 75 ans devrait doubler (par rapport à 2013, selon l’INSEE) en France, on se dit qu’avoir un cerveau musclé, ce sera bien pratique.