Jordi Amat, écrivain et historien catalan, sort un pamphlet aux éditions Anagrama pour dénoncer l’irresponsabilité du personnel politique espagnol et catalan dans le conflit indépendantiste.
La transition de la dictature franquiste vers la démocratie a enfanté de « l’Etat de 1978 ». Une hiérarchie institutionnelle qui régit le découpage administratif en Espagne. Un État central avec Madrid pour capitale et qui partage un certain nombre de compétences avec ses régions qui prendront le nom d’autonomie. Les Basques ont négocié des avantages identitaires et fiscaux dès la rédaction de la Constitution. Les Catalans tenteront de le faire a posteriori. La Constitution de 1978 est bancale. Rédigée au pied levée sous contrôle et pression de l’armée, alors toute puissante à la sortie de la dictature du général Franco, elle délimite mal le champ des compétences entre la capitale de l’État espagnol et de ses autonomies.
Pour arbitrer les litiges d’invasion de compétences, il y a le Tribunal constitutionnel. Il dicte des sentences ultra-majoritairement en faveur du gouvernement central. En ce qui concerne la Catalogne, le tribunal est en moyenne saisi à une vingtaine d’occasions chaque année. Onze fois par le gouvernement central et neuf par la Generalitat. En moyenne tous les ans, dans les litiges d’invasion de compétences, le constitutionnel donne raison 19 fois au gouvernement central et une seule fois à l’autonomie catalane.
Échec
Dans son livre « La conjura de los irresponsables », l’écrivain Jordi Amat démontre en 107 pages, l’échec de cet « État de 1978 » et renvoie dos à dos, indépendantistes et unionistes. « Le pujolisme a toujours collaboré avec cet État de 1978, en faisait partie consubstantielle (..) à tel point que le catalanisme se confondait avec cet État ». Contrairement aux Basques, qui avaient dès la rédaction de la Constitution réussi à obtenir de considérables avantages, tout restait à faire pour la Catalogne, une fois les cartes déjà distribuées.
Jordi Pujol dirige la Generalitat de Catalogne d’une main de fer de 1980 à 2003. Il a échangé son appui au gouvernement de Madrid contre de nouvelles concessions pour l’autonomie catalane. Plus d’une fois, aussi bien les gouvernements socialiste de Felipe González ou conservateur de José María Aznar ont eu besoin des députés de Pujol à Madrid pour obtenir une majorité stable. En échange de ce soutien, la Catalogne a obtenu des prérogatives en matière de santé, sur les programmes scolaires, dans le développement de l’usage de la langue catalane et la possibilité de pouvoir créer sa propre police: les Mossos d’Esquadra.
Dans son livre, Jordi Amat dénonce l’irresponsabilité de deux dirigeants espagnols: Felipe González ou José María Aznar pour avoir appliqué pendant des décennies le célèbre « fais ce que tu veux à Barcelone tant que tu me soutiens à Madrid ». Le paradoxe chez les dirigeants espagnols précités réside dans le fait d’avoir grandi les compétences de la Catalogne, puis quelques années plus tard d’être les plus virulents dans les médias pour dénoncer que la Catalogne utilise ces moyens pour tenter de décrocher l’indépendance.
Indépendantisme
2003: fin du règne de Pujol, année de l’alternance. Dans son livre, Amat regrette que l’arrivée des socialistes au pouvoir en Catalogne ne se soit pas traduite par un audit sur les parts d’ombre de la gestion pujoliste. Au contraire, les socialistes catalans avec José Luis Zapatero, devenu premier ministre en Espagne, décident de se lancer dans une réforme du statut d’autonomie de la Catalogne. Ambitieuse réforme qui entend calquer le statut de la Catalogne sur celui du pays basque: reconnaissance de la nation catalane et totale autonomie fiscale.
Pour Jordi Amat, le moment est mal choisi pour lancer ce plan: José Luis Zapatero est arrivé au pouvoir par hasard suite au dramatique attentat d’Atocha à Madrid la veille des élections. Une attaque terroriste qui fit perdre par surprise les élections au conservateur Mariano Rajoy. Selon Jordi Amat, mal préparée, la réforme de l’Estatut a réveillé l’indépendantisme en Catalogne et le nationalisme en Espagne. A Barcelone, on assiste aux premières manifestations indépendantistes avec Oriol Junqueras et une série de référendums populaires montés à même la rue. Le premier et le plus symbolique a eu lieu dans le village d’Arenys de Munt, sous l’influence d’un conseiller municipal de la CUP en 2009. Comme une traînée de poudre, de nombreux villages ont tour à tour organisé des référendums du même type. Jordi Amat nous livre une anedocte révélatrice: les services de la Generalitat ont rédigé une note sur ce phénomène à destination du président socialiste Montilla. Le chef de cabinet du président, Isaías Táboas, lu la note, la jugea inutile et la jeta à la poubelle.
Unité de l’Espagne
En même temps à Madrid, le Partido Popular (PP) de Mariano Rajoy alors chef de l’opposition, accompagné de la droite médiatique lança une croisade contre l’Estatut. Il saisit le Tribunal constitutionnel qui finalement annulera une bonne partie des mesures. Le PP a imposé sa vision de la Constitution et de l’unité de l’Espagne: les autonomies doivent ressembler à de simples provinces et non des nations.
La sentence du tribunal est arrivée en même temps que la crise économique. Dans une jolie formule, Amat écrit que pendant que l’on fait des coupes budgétaires à Madrid, on fait une coupe de la souveraineté en Catalogne. Manifestations monstres, la Catalogne se sent humiliée. La suite est connue: Artur Mas prend la tête du mouvement, organise une première consultation le 9 novembre 2014. Le livre se termine par un récit quasi quotidien des convulsions qui ont secoué l’Espagne et la Catalogne: attentats du mois d’août à Barcelone, loi de déconnexion en septembre, le référendum et les violences policières en octobre qui s’achève avec une déclaration d’indépendance en forme de funérailles pour Jordi Amat.
« La conjura de los irresponsables » aux éditions Anagrama. 7€90, en commande ici.