Les députés catalans, élus le 21 décembre dernier, ont siégé pour la première fois ce mercredi 17 janvier pour élire le président de la chambre et le bureau du parlement.
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Près de trois mois après la déclaration d’indépendance, le parlement catalan reprenait du service ce matin, dans une vague ambiance de déjà vu. Un important dispositif policier pour boucler le parc de la Ciutadella, fermé au public comme aux jours les plus intenses de cet automne 2017, un grand nombre de journalistes et de cars satellites, et une manifestation d’indépendistes aux grilles du parc. Mais le coeur n’y est plus. Les manifestants ne se comptent que par centaines, accrochant quelques rubans jaunes aux arbres en soutien à leurs leaders encore incarcérés, les reporters attendent patiemment la fin d’une session sans grand suspense, les assistants parlementaires s’attardent sans enthousiame à la buvette.
L’euphorie du 27 octobre, jour de la déclaration d’indépendance, a disparu sous le violent tsunami du 155, cet article de la Constitution appliqué par le gouvernement espagnol pour destituer l’exécutif catalan et mettre la région sous tutelle, balayant grand nombre des acquis obtenus par les Catalans depuis le retour de la démocratie.
Tout est à reconstruire. C’est ce qu’a souligné le doyen du parlement Ernest Maragall, qui présidait cette première session et a présenté le discours le plus offensif de la journée contre l’Espagne, faisant notamment remarquer que pour la première fois depuis la fin de la dicature franquiste les bancs du gouvernement étaient vides. Une traduction visuelle particulièrement forte de l’absence d’exécutif catalan depuis sa destituion le 27 octobre dernier.
Un discours consensuel
Sans surprise, c’est l’indépendantiste Roger Torrent, 38 ans, issu de la gauche républicaine Esquerra Republicana de Catalunya (ERC) qui a été élu pour présider le parlement catalan durant cette nouvelle législature. Il succède à Carme Forcadell, qui a finalement reconcé au perchoir à cause des poursuites judiciaires déjà engagées à son encontre pour ses responsabilités dans le processus indépendantiste qui ont mené à la déclaration d’indépendance du 27 octobre dernier. Les deux groupes indépendantistes, ERC et la liste de Carles Puigdemont Junts Per Catalunya (JxC), sont donc officiellement parvenus à un accord pour proposer Roger Torrent à la présidence de la chambre et Carles Puigdemont à la présidence de la Catalogne, « dans la logique de restitution des institutions » précise le communiqué officiel.
Le nouveau président du parlement catalan a débuté son discours par un message d’apaisement: « j’ai le ferme engagement de travailler pour tous les députés de cette chambre », avant de souligner que « la responsabilité est encore plus grande dans le contexte complexe et anormal auquel nous devons faire face » puis de rappeler les « trois députés de cette chambre qui sont en détention préventive », en référence à l’ancien vice-président catalan Oriol Junqueras, l’ex-ministre de l’Intérieur Joaquin Forn et le président de l’association indépendantiste ANC Jordi Sanchez poursuivis pour sédition et incarcérés depuis plus de deux mois à Madrid. Roger Torrent a assuré vouloir travailler pour « encourager la cohésion » de la société catalane tout en demandant à « respecter le vote des gens et la volonté populaire ». Roger Torrent a terminé son discours par un « Vive la démocratie et vive la Catalogne », bien plus consensuel que la fin du discours de Carme Forcadell en 2015 qui avait lancé un enthousiaste « Vive la République » annonciateur d’une législature dont l’unique but serait d’organiser le référendum d’autodétermination et proclamer l’indépendance.
Le discours s’est achevé sur l’hymne catalan, puis les députés indépendantistes ont scandé à plusieurs reprises « Liberté! Liberté! ». Le président du parlement n’y a pas participé. Sa posture de neutralité rappelait davantage le retour à l’autonomie catalane en 1978 que la constitution du dernier parlement en 2015.
Qui sera le prochain président de Catalogne?
Les députés ont également voté pour le reste du Bureau du Parlement, composé d’une majorité indépendantiste, à l’image du parlement. Ont été élus Josep Costa (JxC), premier vice-président, José María Espejo-Saavedra (Ciutadans), deuxième vice-présidente, et les secrétaires Eusebi Campdepadrós (JxC), David Pérez (socialiste), Joan García (Ciutadans) et Alba Vergés (ERC). La députée de En Comú Podem Elisenda Alamany s’est plainte de la présence d’une seule femme au sein du Bureau et a été applaudie par plusieurs autres députés de différents groupes.
Le président et les membres du bureau seront chargés d’interpréter le réglement du parlement, notamment en vue d’une investiture à distance de Carles Puigdemont. L’ancien président catalan, exilé à Bruxelles depuis le 30 octobre dernier et poursuivi par la justice espagnole pour sédition et rébellion, n’a finalement pas voté par procuration aujourd’hui, tout comme les quatre députés qui l’accompagnent en Belgique, et contrairement aux trois députés en détention provisoire qui ont délégué leur voix.
Officiellement, la majorité indépendantiste a trouvé un accord pour investir Carles Puigdemont à la présidence de la Generalitat, sans qu’il ait besoin de revenir en Catalogne, où il serait immédiatement arrêté et placé en détention provisoire. Mais dans les couloirs du parlement, on n’y croit pas trop. « Il faut voir si cela serait vraiment bénéfique à l’indépendantisme d’avoir un président à distance, s’interroge un assistant parlementaire, que peut-il vraiment faire depuis Bruxelles? »
C’est le président du parlement qui doit proposer un candidat à la présidence avant le 31 janvier au plus tard. Certains avancent l’idée qu’il pourrait ne proposer personne, estimant qu’aucune candidature ne bénéficie des soutiens suffisants. La décision ouvrirait le compte à rebours des deux mois, à la fin desquels de nouvelles élections seront convoquées s’il n’y a toujours pas de président élu. « Cela nous laisse deux mois pour négocier » croit savoir notre assistant parlementaire. Jordi Sanchez, numéro 2 de la liste JxC et actuellement incarcéré, serait selon plusieurs sources indépendantistes l’option préférée des partis séparatistes.