Déclaration d’indépendance, exil, prison : une semaine folle commence en Catalogne.
Scénario : vendredi soir, Carles Puigdemont proclame officiellement la naissance de la République Catalane, indépendante du Royaume d’Espagne. Deux options s’ouvrent alors devant lui. Rejoindre les « Jordis » présidents des associations indépendantistes qui sont en prison depuis plus d’une semaine. En cas de proclamation d’indépendance, le président risque une peine de 30 ans de réclusion pour sédition et rébellion. Le procureur général de l’État espagnol a affirmé à la presse que les documents pour déposer une plainte contre Puigdemont étaient déjà rédigés.
La seconde option pour le chef catalan pourrait être de partir en exil. Carles Puigdemont ne serait pas le seul président de la Catalogne à trouver refuge hors du territoire espagnol. Pour fuir la dictature franquiste, Lluís Companys était parti en France depuis le col de Lli, à La Vajol, pour s’établir à La Baule-Escoublac en Loire-Atlantique. Mais il fut retrouvé par la Gestapo puis livré par la France à la dictature militaire franquiste le 13 août 1940 avant d’être jugé et fusillé au château de Montjuic le 15 octobre 1940. Par la suite, la France présenta ses excuses officielles à la Catalogne pour avoir livré son président à une dictature.
Les députés catalans, élus démocratiquement lors de la dernière élection avant le franquisme, sont eux aussi partis en exil, notamment au Mexique, pays n’ayant jamais reconnu la dictature franquiste. Après la mort de Companys, les députés se sont réunis clandestinement pour élire Josep Irla qui devient à son tour président la Catalogne en exil, cette fois-ci à Saint-Raphaël dans le Var. Lors de la démission d’Irla pour cause de vieillesse, les députés survivants élirent le dernier président en exil : Josep Tarradellas qui vivait entre la Suisse et la commune de Saint-Martin-le-Beau dans le val de Loire. A la mort du général Franco, Josep Tarradellas rentra officiellement en Catalogne et prononça au balcon de la Generalitat le célèbre « Catalans, je suis ici ! ».
L’histoire est cruelle. Hier la Catalogne fêtait les 40 ans du retour de Tarradellas et du rétablissement de la Generalitat.
Une Generalitat clandestine
Ces derniers jours, l’histoire a tendance à bégayer. Les deux associations indépendantistes (ANC et Omnium) agissaient en clandestinité sous le franquisme. En 2017, leurs présidents sont en prison pour sédition. La Generalitat qui a été interdite sous Franco, va se retrouver amputée de tous ses membres dès samedi avec l’application de l’article 155.
Dans l’entourage de Carles Puigdemont, nombreux pensent que s’il déclare l’indépendance, il ne fait aucun doute qu’il terminera en prison et c’est un scénario envisagé par le président Puigdemont lui-même. Le chef de l’exécutif catalan aurait parlé à sa femme et ses filles de cette hypothèse. Miquel Casals, un ami très proche du président, a confié au pure player Vilaweb que Puigdemont plaisantait sur le sujet, disant qu’on pouvait l’emprisonner dans la maison d’arrêt de Figueres, comme ça il pourrait l’inaugurer en même temps. Il n’en fallait pas plus pour invoquer l’histoire et réfléchir à une « Generalitat clandestine en exil ».
De l’autre côté des Pyrénées, dans la partie française de la Catalogne, à Perpignan, on prend le sujet au sérieux. Robert Casanovas, président du Comité d’autodétermination de la Catalogne Nord, explique à nos confrères de l’Indépendant avoir « pour l’instant 25 appartements mis à disposition par des sympathisants prêts à les accueillir, et une villa de 400 m² pour Puigdemont. Ils pourront y rester le temps qu’ils voudront ».
Lors de la dictature franquiste, il y a eu la grande « retirada ». Une foule de Catalans qui ont fui l’Espagne pour échapper à Franco. Ils sont passés par les montagnes pour se réfugier notamment dans le petit village d’Elne près de Perpignan. Nouvelle répétition de l’histoire, c’est dans cette zone d’Elne qu’étaient cachées les urnes du référendum du 1er octobre, et 6 millions de bulletins de vote ont été imprimés en France. Pour ramener les bulletins et les urnes en Catalogne, les militants ont suivi exactement les mêmes routes et chemins que leur aïeux avaient pris lors de la Retirada.
Si Carles Puigdemont ne tombera peut-être pas dans une certaine caricature en allant vivre à Perpignan, on peut tout de même imaginer que le président puisse s’exiler dans une ville française ou un pays tiers. De son côté, l’Espagne est persuadée que des ambassades de petits pays amis de la Catalogne collaborent avec leurs sièges situés à Barcelone. Le président réfugié dans une ambassade après une déclaration d’indépendance rendrait son arrestation plus compliquée.