Ce 15 octobre, Carles Puigdemont et les autorités catalanes commémorent la disparition de Lluís Companys, président de la Generalitat de Catalunya de 1934 à 1940. Durant la guerre civile espagnole, il s’était exilé en France, avant d’être livré par la Gestapo au régime franquiste et fusillé à Montjuic. C’est aujourd’hui l’une des figures les plus marquantes de l’indépendantisme en Catalogne.
Lluis Companys se fit connaitre comme activiste de gauche, ce qui lui valut d’être arrêté une quinzaine de fois par la police. En 1906, il participa à la création de Solidaritat Catalana et devint par la suite président de la section politique de l’Union fédérale nationaliste républicaine. Une première fois élu aux législatives de 1920, il devint député de Sabadell. Companys fut par ailleurs, membre exécutif du parti Esquerra Republicana de Catalunya (ERC), qui existe encore aujourd’hui et qui détient la vice-présidence du gouvernement de Catalogne en la personne d’Oriol Junqueras.
Novembre 1933. Élections générales en Espagne avec un panorama politique éclaté où aucun parti n’obtient une claire majorité. De fait, la droite soutient un gouvernement du radical Alejandro Leroux. Une situation qui ne convient pas au très gauchiste président catalan Lluis Companys. Il considère qu’avec ce gouvernement il ne sera pas possible de développer les nouvelles compétences de la Generalitat. La jeune institution catalane, qui n’avait que deux ans d’existence, devait collaborer activement avec le gouvernement central pour développer les infrastructures en Catalogne. Avec l’exécutif catalan et espagnol aux antipodes, le premier choc institutionnel eu lieu en avril 1934 quand le parlement avec la majorité d’ERC vota une loi particulièrement défavorable aux propriétaires agricoles. La Lliga, parti catalan conservateur d’opposition, quitta le parlement catalan et demanda à Madrid de rendre cette loi inconstitutionnelle et de la suspendre. Le conseil constitutionnel de l’époque annula la loi catalane en juin 1934. Le gouvernement de Companys désobéit à l’Etat espagnol en représentant la loi au parlement catalan et la fait voter à nouveau, sans retirer le moindre article.
La déclaration au balcon de la Generalitat
Dans ce climat d’anarchie, particulièrement puissant en Catalogne, où tous les ponts sont rompus avec l’Espagne, le 6 octobre 1934 à 20h, le président de la Catalogne Lluis Companys sort au balcon du Palau de la Generalitat pour proclamer l’Etat Catalan de la République fédérale espagnole.
La déclaration est reçue comme une déclaration unilatérale d’indépendance par l’Espagne et l’armée prend le contrôle de la Generalitat le lendemain même. Non organisée, non planifiée, sans soutien des syndicats, la République de Companys est morte-née. Pendant les combats, courts mais intenses, 64 personnes ont perdu la vie et 252 furent blessées.
Aussitôt le président Companys et son gouvernement sont incarcérés aux côtés d’un millier de rebelles et condamnés à une peine de 30 ans de prison. Mais avec l’arrivée du front populaire au pouvoir, Companys fut gracié et reprend le pouvoir en qualité de président de la Generalitat. L’expérience prendra fin avec la victoire du général Franco, lors de la guerre civile espagnole qui instaura une dictature et abolira de facto la Generalitat de Catalunya. Companys s’exila depuis le col de Lli, à La Vajol pour se réfugier à La Baule-Escoublac, en Bretagne. Mais il fut retrouvé par la Gestapo en France et livré à la dictature militaire franquiste le 13 août 1940.
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Jugé et condamné par un tribunal militaire, il fut, après avoir été torturé, fusillé au château de Montjuic à Barcelone le 15 octobre 1940 en criant le devenu célèbre « Per Catalunya ».
L’héritage de Lluis Companys
La France a officiellement présenté ses excuses pour l’arrestation de Lluis Companys, ce que n’a jamais voulu faire l’Etat espagnol. Le procès de Companys est considéré aujourd’hui comme une parodie de jugement. Le parlement de Catalogne a d’ailleurs légalement annulé le jugement de Companys ainsi que tous les procès initiés par les forces franquistes.
Lluis Companys est aujourd’hui une figure mythique de l’indépendantisme. Scène mythique, beaucoup d’indépendantistes rêvent d’un président Puigdemont se présentant de nouveau au balcon du Palau de la Generalitat, plaça Sant Jaume, pour revendiquer l’indépendance comme l’a fait son prédécesseur.
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Companys, d’une manière inversée, est aussi une référence pour les conservateurs espagnols. Un des responsables du parti de droite au pouvoir, Pablo Casado a suscité une polémique la semaine dernière en avertissant Carles Puigdemont d’abandonner ses projets indépendantistes pour ne pas « terminer comme Lluis Companys ». La menace a jeté un froid glacial devant la presse réunie pour écouter Casado, qui voulait faire référence à l’emprisonnement de Companys en 1934. En effet le code pénal stipule qu’en cas de déclaration unilatérale d’indépendance, Carles Puigdemont risque une peine de prison. Les indépendantistes ont eux pris les propos du porte-parole Casado comme une référence au fusillement de Companys. Aucun membre du Partido Popular de Mariano Rajoy n’a condamné les propos du porte-parole Pablo Casado.
Alfred Bosch d’Esquerra Republicana (parti dont Lluís Companys était l’un des leaders) affirmait sur Equinox Radio, à l’occasion des 40 ans de la mort de Lluis Companys , que celui-ci a été « le seul président élu démocratiquement qui a été exécuté dans les temps modernes ». Selon lui, « Lluís Companys a tout donné, sa vie, pour préserver des choses très simples comme le vote et la langue », Alfred Bosch ajoute que c’est un « exemple qui encourage à continuer pour ceux qui veulent l’independance de la Catalogne ».