Retour sur les 6 derniers jours en Catalogne. Par Nico Salvado, Aurelie Chamerois, Leslie Singla, Olivier Goldstein, Elisa Casson et Valentine Josenhans.
Dimanche : Un vote dans les pleurs
Depuis 5h du matin, des centaines de personnes se sont attroupées devant les bureaux de vote.. Equipés de sac de couchages et de tapis de sol, certains ont même passé la nuit sur les lieux afin d’empêcher la police de pénétrer et d’occuper l’espace. Motivés et déterminés, les habitants ne sont pas moins face au doute quant au déroulement du vote. «On est dans l’attente, on ne sait pas à quoi cette journée va ressembler. Conscients de la menace que représente l’intervention des forces de l’ordre, les organisateurs du scrutin refusent d’indiquer comment et où sont entreposés les urnes et les bulletins de votes. «Ils sont arrivés à 4h30 ce matin, mais pour le reste c’est un secret. On ne veut pas se les faire confisquer» indique Gracia Ruste.
Le scrutin est sous tension, surtout depuis les interventions violentes de la Guardia Civil pour le suspendre, face à la police, les animateurs du vote appellent à la résistance pacifique. La peur de la police est sur toute les lèvres.Les Mossos d’Esquadra restent passifs. En effet, postés devant la rue depuis 7h du matin, ils n’interviennent pas et se contentent de faire des rondes.
Tout ici semble improvisé. La préparation du scrutin demeure approximative. La pluie a tout d’abord contraint les organisateurs à ouvrir les portes du bureau à 6h, afin d’abriter en priorité les personnes âgées qui devaient encore attendre trois heures avant de pouvoir voter. Le collège électoral qui devait arriver à 8h15, n’est arrivé au final qu’à 9h,heure d’ouverture officielle du bureau. De plus, depuis la coupure du système informatique, tous ne semblent pas d’accord sur la manière d’assurer le vote. En l’absence de liste électorale, il a été décidé que tous les Espagnols pourraient voter dans n’importe quel bureau. A 9h, alors que tous s’attendent au début du vote, les organisateurs cherchent encore des bénévoles parmi la foule, afin d’assister le collège électoral. A 10h, le scrutin peine à démarrer. Seul quelques personnes âgées sont parvenues à pénétrer dans le bureau.
A travers toute la Catalogne, les images de violence de la police espagnole choquent. Notamment une altercation avec les pompiers catalans qui cherchaient à protéger un bureau de vote.
Spanish National Police strike with batons Catalonian fire fighters trying to protect ##Referendum voters. pic.twitter.com/Nkl0jPmwYV
— Julian Assange 🔹 (@JulianAssange) 1 de octubre de 2017
L’objectif de la police espagnole était d’empêcher que le président Puigdemont de voter. Un symbole fort. Les brigades anti-émeutes espagnoles se sont déployées massivement à San Julián de Ramis, petite bourgade de 3000 âmes dans la région de Gérone où devait voter Puigdemont. Violences, vitres brisées, tensions. Le président n’apparaît pas. Sa voiture officielle cherche en fait à semer un hélicoptère de la police qui le poursuit. Le président change discrètement de véhicule sous un pont à l’abri des vues de la police, pour que l’hélicoptère soit leurré et suive une voiture dans laquelle Puigdemont n’est plus. Le stratagème a fonctionné et finalement Carles Puigdemont a voté dans la commune voisine de Cornellà de Terri. Après le vote de Puigdemont, et des membres du gouvernement catalan, les violences policières se sont calmées.
Du coup tout au long de l’après-midi le vote se poursuit. À l’intérieur des bureaux de vote, les gens s’animent pour prendre le fameux bulletin. Muni de leur DNI, pièce d’identité obligatoire pour valider le vote, ils s’empressent de remettre leur bulletin dans l’urne. Sans jamais oublier la photo historique rendant l’action inoubliable. Venus en famille, les selfies vont bon train. Des jeunes, des couples, de retraités, des enfants, tous sont là pour écrire une nouvelle page de l’histoire d’Espagne. Leur histoire. D’autres ne se connaissent pas mais se serrent dans les bras, se félicitent, s’applaudissent.
A 22h30, le président de la Catalogne Carles Puigdemont prend la parole pour annoncer qu’il demande au Parlement catalan de préparer l’indépendance.
Lundi : la Catalogne en sur-régime
Le parlement catalan est en surrégime législatif depuis la rentrée de septembre. En ayant voté dans des conditions douteuses les 5 et 6 septembre les lois encadrant le référendum et la transition juridique, le parlement est soumis à un mode au-delà des paramètres normalement utilisés. Violation du propre règlement de la chambre des députés, anéantissement des droits de l’opposition. Avec ce passage en force, la machine parlementaire catalane est ressortie abîmée. La présence de l’État espagnol sur le territoire catalan en surrégime avec une action des forces de l’ordre espagnoles qui ont utilisé une violence disproportionnée dans une compétence qui appartenait aux Mossos, la police catalane. L’appareil judiciaire de l’État espagnol est au aussi utilisé au-delà des paramètres habituels avec des mesures de répression se traduisant par des gardes à vue, des descentes de police dans les journaux, le blocage des comptes de la Generalitat, entre autres. Les associations activistes placent la rue catalane également en surrégime. Après des semaines de propagande autour du référendum, et en attendant les tumultes de la déclaration d’indépendance, les associations indépendantistes ANC, Omnium et l’extrême-gauche de la Cup mobilisent la rue catalane pour une gréve générale mardi, avec apparemment la bénédiction de la Generalitat.
Mardi : Gréve générale
Selon les chiffres, qui proviennent des syndicats patronaux, 54% des travailleurs catalans seraient en grève. La quasi-totalité (90%) des magasins et boutiques de Catalogne ont gardé leurs rideaux baissés. Des quartiers entiers de Barcelone comme Sant Antoni, l’Exeimple ou Sants n’ont quasiment aucun bar ou boutique ouvert. Les chaines de supermarchés Bon Preu, Condis, Origen ont fermé. Certaines banques sont également closes. A noter que les cortèges des manifestants ont mis la pression pour que des boutiques, qui étaient ouvertes, ferment contre leur volonté. Ce fut le cas du concessionnaire Toyota à Carrer Arago ou encore Uniqlo et Zara sur le Passeig de Gracia. Une certaine tension s’est faite ressentir avec les clients et touristes présents dans ces boutiques qui ont du sortir par les issues de secours de la Carrer Casp.
Des piquet de grève se sont formés notamment devant le Mercadona de Poble Nou. Contrairement à certaines entreprises de ce secteur, cette chaine veut garder ses 200 établissements ouverts à travers la Catalogne. Un taux aussi élevé de fermeture dans le secteur du commerce lors d’une grève est du jamais vu. Beaucoup de commerces ont affiché le message « fermé pour dignité ». Un clivage se fait tout de même sentir. On constate que le petit commerce, les professions libérales et les chaines d’origine catalane ferment plus facilement que les marques internationales comme Carrefour, McDonalds qui restent ouverts. D’ailleurs, un McDonalds a été envahi par des manifestants dans la station de Sants. Les pharmacies catalanes, quant à elles, assurent un service minimum.
Dans la soirée le roi d’Espagne est intervenu à la TV pour prononcer un discours de fermeté contre le gouvernement de Catalogne.
Mercredi : les 3 scénarios de Puigdemont pour proclamer l’indépendance
Carles Puigdemont a demandé au parlement de se réunir en séance pleiniere pour examiner la victoire du oui et pour sauf coup de théatre proclamer l’independance. Puigdemont a 3 scenarios devant lui pour faire cette proclamation pour faire le grand-ecart entre les différentes sensibilités de l’indépendantisme.
Les puristes: l’extrême-gauche de la CUP et les associations indépendantistes ANC et Omnium, sont en faveur d’une déclaration « sèche ». Le jour où le Parlement proclame l’indépendance, la Catalogne doit être considérée à l’instant même comme définitivement séparée de l’Espagne. La Police Nationale et la Guardia Civil deviennent des forces étrangères et sont invitées à quitter le pays. Les banques doivent transférer l’argent des impôts espagnols immédiatement sur les comptes de la Generalitat. On peut, si cette option l’emporte, imaginer des symboles forts, comme faire tomber les drapeaux espagnols des bâtiments publics.
Un scénario qui déplaît à la frange modérée incarnée par une partie de la gauche républicaine (ERC) et un secteur important du parti d’Artur Mas (PDeCAT). Cette frange préférerait proclamer symboliquement l’indépendance cette semaine, mais laisser passer une période de six mois à un an, avant de prendre la moindre mesure concrète, de manière à laisser à l’Espagne et l’Europe le temps d’ouvrir une négociation pour faire les choses en douceur. Quant au secteur le plus modéré de PDeCAT, il propose de déclarer timidement l’indépendance et de convoquer dans la foulée des élections catalanes qui, si les séparatistes l’emportent, valideraient dans les urnes la déclaration d’indépendance.
Le président ne peut perdre le soutient de l’association indépendantiste ANC qui, avec sa logistique et ses volontaires, a permis la mise en branle du référendum. Puigdemont ne peut pas non plus froisser la CUP qui tient la rue. Il est possible qu’en ordonnant les violences policières, le machiavélique Mariano Rajoy ait cherché à diviser le camp indépendantiste. La manifestation et la grève de mardi étaient prévues par la CUP et l’ANC de longue date. Les violences ont boosté au-delà de toutes limites cette grève la rendant générale. De fait, la CUP sort renforcée de cet épisode. La déclaration d’indépendance devra avoir une certaine solennité comme l’exige la CUP. Aller trop loin et trop vite peut effrayer les secteurs modérés qui ne veulent mettre en risque ni l’économie, ni l’image internationale de la Catalogne. Un excès dans un sens ou dans un autre peut décrédibiliser la déclaration d’indépendance et scinder le bloc séparatiste. Dans son bureau du palais de la Moncloa à Madrid,Mariano Rajoy attend, en fumant probablement ses cigares cubains comme il en a l’habitude.
Jeudi : Suspension par le tribunal constitutionnel de la session parlementaire qui devait proclamer l’indépendance
Nouveau coup dur pour les indépendantistes. La séance du parlement qui devait servir à proclamer l’indépendance lundi, a ete suspendue par le tribunal constitutionnel.Pourtant les indépendantistes avaient été prudents. Aucune mention légale n’avait été faite concernant l’objet de la convocation plénière du parlement lundi. Officiellement cette séance devait servir à convoquer le président Puigdemont pour commenter les résultats du référendum de dimanche.
Officieusement il est clair que la majorité indépendantiste veut utiliser cette session parlementaire pour proclamer unilatéralement l’indépendance de la Catalogne. Ce sont les socialistes catalans qui ont déposé un recours devant le tribunal, alléguant du fait que les indépendantistes allaient violer la constitution en déclarant la sécession lors de cette séance. La cour constitutionnelle est allée dans ce sens en appliquant l’article 56.6 de la loi organique.
L’association indépendantiste ANC, appelle à manifester lundi devant le parlement, et tient pour acquis, que la session se déroulera parlementaire sans l’accord de l’Espagne. La session se tiendra dans une certaine clandestinité, avec peut-être la police espagnole qui empêchera les députés d’entrer dans le parlement. Viendront seulement les 72 parlementaires indépendantistes. Les 63 députés socialiste, de doroite, de Podemos et de Ciutadans, ne se présenteront pas à une session déclarée illégale.
Cette situation d’anarchie donne des ailes à la frange dure de l’indépendantisme qui veulent une déclaration pure et dure, prenant effet sur le champ. C’est finalement peut-être le but de Mariano Rajoy : avec la répression tout azimut, séparer au maximum les deux tendances de l’indépendantisme. Pousser les radicaux dans le plus singulier extrémisme afin que les modérés ne puissent plus suivre.