L’Espagne ne peut plus empêcher le référendum catalan

OPINION – Par Nico Salvado, fondateur d’Equinox

Procrastiner, repousser et tergiverser. Triptyque de la vie politique de Mariano Rajoy. Celui qui est connu pour gagner ses adversaires à l’usure (n’a-t-il pas survécu à Sarkozy, Hollande, Valls, Cameron et Artur Mas) semble appliquer sa stratégie maîtresse dans le conflit catalan. Le premier ministre espagnol prend des airs martiaux pour déclamer que le référendum n’aura pas lieu. La dynamique et le calendrier prouvent le contraire.

Dans ce singulier calendrier de l’avent catalan, chaque jour qui passe rend le référendum plus concret. Lorsque le parlement catalan vote une loi autorisant un référendum d’autodétermination, il viole la constitution espagnole :  seule l’Espagne a le droit, dans le plein sens du terme, d’organiser ce type de scrutin. Logiquement, pour ne pas dire naturellement, le tribunal constitutionnel a censuré la loi référendaire qui ne respecte pas avec le cadre légal. Ici, le premier ministre Mariano Rajoy n’exerce aucune action politique particulière, laissant le tribunal constitutionnel effectuer le service minimum pour faire tomber la loi catalane.

Face à une situation de sédition, les secteurs les plus véhéments de Madrid demandent à Mariano Rajoy des actions radicales pour stopper le processus indépendantiste. Le premier ministre en fera fi. Le calibrage de l’arsenal constitutionnel espagnol n’est pas subtil et n’incite pas le prudent Rajoy à s’embourber dans un Vietnam politique. La constitution n’offre au chef du gouvernement espagnol que bombes nucléaires législatives.

Le fameux article 155 de la Constitution, pas appliqué une seule fois depuis 1975, prévoit que le gouvernement d’Espagne puisse prendre le contrôle des institutions catalanes comme la police, l’éducation ou même dissoudre le parlement catalan. Si l’ensemble de la Catalogne n’est pas indépendantiste, l’écrasante majorité est au moins « catalaniste » et revendique sa différence avec l’Espagne. Appliquer l’article 155 déclencherait une tempête en Catalogne et les vents arriveraient jusqu’à Madrid, où les secteurs les plus modérés comme les socialistes refuseraient de s’aligner derrière Rajoy pour soutenir une telle mesure.

Autre option que n’utilisera pas Mariano Rajoy : la loi de sécurité intérieure. Mesure cousine de l’article 155, cette loi permet un contrôle de la police catalane par le gouvernement espagnol en cas de danger extrême pour sa sécurité. Même si la « droite dramatique » considère que cette définition correspond à la Catalogne de 2017,  Mariano Rajoy ne devrait pas avoir envie de s’aventurer dans ce bourbier. La situation doit se régler sans drame répète-t-on en boucle à Bruxelles. L’Europe qui est passée par bien des crises ces dernières années se veut le contrepoids au populisme autoritaire de Donald Trump. Si l’Union européenne fait bloc derrière Madrid, et continuera à le faire dans les années à venir, elle ne peut se permettre de soutenir des mesures radicales qu’utiliserait un état central contre un gouvernement régional.

Les Basques vont dans ce sens. Le parti national basque (PNV) qui soutient Mariano Rajoy en lui offrant une stabilité parlementaire ne cesse de le répéter. Pas de radicalisme contre la Catalogne sinon le PNV retire son soutien vital à la droite de Mariano Rajoy. Se retrouver en minorité au parlement espagnol est la hantise de Mariano Rajoy. User de la force contre la Generalitat liguerait à coup sûr contre lui les socialistes, Podemos, les Basques qui, s’ajoutant aux parlementaires catalans présents à Madrid, pourraient faire tomber le chef du gouvernement.

La stratégie du pourrissement

La stratégie du « pourrissement » semble beaucoup plus intéresser le Premier ministre. Pourrissement avant le référendum en décrédibilisant le scrutin, en clamant sur tous les tons qu’il n’a aucune garantie légale. En sabotant le scrutin, en empêchant la Generalitat d’avoir un nombre d’urnes et de bulletins suffisants, et en mettant la pression sur les mairies pour que celles-ci n’ouvrent pas les collèges électoraux dans les écoles.

manif septembre 2017

La manifestation indépendantiste du 11 septembre 2017 à Barcelone

Stratégie du pourrissement post-référendum : Mariano Rajoy est conscient que l’indépendantisme catalan est divisé en trois blocs : le centre droit (Artur Mas et Carles Puigdemont), la gauche (Oriol Junqueras) et l’extrême-gauche anarchiste de La Cup. En 2015, le très libéral Artur Mas a tenté de se faire investir pour un second mandat de président de la Catalogne, en tentant la très improbable alliance avec l’extrême-gauche au nom de l’indépendance. Artur Mas finira politiquement décapité par les anarchistes. « Du long de ma très longue carrière, je n’ai jamais vu une aussi mauvaise stratégie politique » ricanera Mariano Rajoy pour commenter l’événement.

Les luttes intestines entre les partis indépendantistes tueront le mouvement, semble penser Mariano Rajoy. Dans une Catalogne post-référendum, la Moncloa estime qu’Oriol Junqueras tentera tôt ou tard une alliance avec les socialistes et Podemos afin de rafler la présidence de la Generalitat, laissant de côté l’indépendantisme. La droite centriste, le PDeCat d’Artur Mas et de Carles Puigdemont, finirait le bec dans l’eau avec un parti ruiné et épuisé par six longues années de processus séparatiste. Pour finaliser la ruine du personnel politique indépendantiste, Mariano Rajoy compte sur les actions en justice engagées suite au référendum qui rendront inéligibles et frappés de lourdes amendes les acteurs du processus séparatiste.

Comme rien n’est ni noir ni blanc et qu’en politique on ne meurt vraiment jamais, il est évident que les plans de Mariano Rajoy peuvent déraper à tout moment. Une éventuelle forte participation lors du scrutin du 1er octobre peut donner un élan sans précédent aux indépendantistes. Une bonne campagne de communication internationale pourrait pousser Madrid dans les cordes. Il faudra alors commencer des négociations avec Barcelone pour donner certaines compétences supplémentaires à la Catalogne : fiscalement et constitutionnellement. Des négociations qui pourraient durer des mois, voire des années. Procrastiner, repousser et tergiverser.

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