Pour tomber enceinte et combler leur désir d’enfants, de nombreuses Françaises se rendent à Barcelone pour recevoir un traitement de Procréation Médicalement Assistée (PMA). A tel point que cela en est devenu un véritable business. Rencontre avec Stéphanie Toulemonde, cofondatrice de She Oak, association de soutien pour les femmes en processus de PMA dans la capitale catalane.
En France, la Procréation Médicalement Assistée (PMA) a resurgi dans les débats depuis quelques mois. La PMA est un terme générique qui regroupe deux principales techniques d’aide médicale à la reproduction qui sont l’insémination artificielle et la fécondation in vitro (FIV). Au cours de la campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait mis un point d’honneur à autoriser la PMA pour toutes les femmes. Le 27 juin 2017, le comité consultatif national d’éthique (CCNE) prononçait un avis favorable à l’ouverture de la PMA aux couples lesbiens et aux femmes célibataires.
La législation française étant plus stricte que la loi espagnole, les Françaises en quête de maternité sont nombreuses à franchir la frontière. Stéphanie Toutlemonde l’a bien compris. Installée dans la capitale catalane depuis dix ans, cette maman de deux filles nées par FIV vient de monter She Oak, une association de soutien pour les femmes qui ont recours à la PMA à Barcelone. Après avoir travaillé pendant 16 ans dans le marketing, Stéphanie a choisi d’aider ces femmes confrontées comme elle aux difficultés liées à cette pratique médicale méconnue.
Quel est le profil des femmes qui se tournent vers votre association?
Au quotidien, on rencontre trois profils de femmes. Tout d’abord, les couples lesbiens qui viennent en Espagne car elles ne peuvent pas avoir recours à la PMA en France. Elles représentent une population moins sensible car elles n’ont pas le bagage émotionnel des femmes souffrant d’infertilité. Ensuite, il y a les femmes seules qui, elles aussi, n’ont pas légalement accès à la PMA en France. Elles ont autour de la quarantaine et sont tiraillées entre des sentiments d’excitation et de doute. Enfin, il y a les couples hétérosexuels qui tentent d’avoir un enfant sans succès depuis plusieurs années. Ces couples sont désespérés et ont besoin d’un grand soutien moral.
Pourquoi ces femmes françaises décident de venir en Espagne?
Ce phénomène s’explique surtout parce que l’Espagne est le premier pays européen en ce qui concerne les traitements de PMA. En 2014, le registre de la Société Espagnole de Fertilité a établi que les cliniques espagnoles avaient réalisé 156.865 cycles de reproduction assistée, dont 12.240 pour des non-résidents.
En Espagne, la législation est plus souple et les Françaises peuvent avoir accès à des protocoles laborieux voire interdits en France. L’Espagne autorise la PMA pour les couples lesbiens et les femmes seules. Le processus est aussi facilité par l’existence de nombreuses cliniques privées spécialisées dans la reproduction assistée. Ces établissements possèdent leurs propres réserves d’ovocytes qui sont bien plus importantes que les cliniques françaises. A titre de comparaison, en France, le temps d’attente pour recevoir un don est d’entre deux et trois ans alors que dans les cliniques privées espagnoles ces délais peuvent être réduits à deux mois.
Au-delà des différences en matière de législation, avez-vous la sensation que la PMA est un sujet moins tabou en Espagne?
Effectivement, c’est encore un sujet très tabou en France. Les femmes en parlent peu et ont peur d’être jugées. Il y a encore un grand silence autour de la PMA. Les émotions que traversent ces femmes en désir d’enfant ne sont pas toujours faciles à comprendre pour leur entourage. Il y a encore un manque d’information et de sensibilisation en la matière.
Notre association essaie de combler ce vide. De plus, en France il n’y a pas la culture du don d’organe comme en Espagne, même si on peut espérer une évolution des mentalités avec le récent changement de la loi (NDLR en 2017, la loi sur le don d’organe en France a été modifiée en France : dorénavant chaque individu est considéré comme donneur potentiel sauf s’il est inscrit sur le registre national du refus). Le fait que ce soit mieux accepté dans les mentalités mais aussi que les donneuses soient rémunérées explique l’importance des dons d’ovocyte en Espagne. En France, les dons fonctionnent encore sur le principe de gratuité. En Espagne, les donneuses d’ovocyte sont dédommagées entre 900 et 1000 euros ce qui me semble normal car ce n’est pas un acte anodin. Il demande un vrai investissement de la part des donneuses.
Des femmes viennent aussi en Espagne pour effectuer une autoconservation de leurs ovocytes, une pratique qui vise à prélever et à conserver ses propres ovules en vue d’une grossesse ultérieure.
En effet, l’autoconservation des ovocytes est toujours illégale en France. Elle concerne essentiellement des femmes de plus de 35 ans et célibataires. Elles ne se sentent pas prêtes à avoir un bébé tout de suite et préfèrent conserver leurs ovules avant que leur qualité ne se dégrade.
Que répondez-vous aux critiques qui accuse l’Espagne de favoriser l’existence d’un « tourisme médical » ?
Je comprends qu’il y ait des avis partagés sur le sujet. Dans un sens, au travers de mon expérience personnelle, je ne peux que penser que c’est un système merveilleux qui permet d’avoir des enfants! Cependant avec la multiplications des cliniques privées espagnoles uniquement dédiées à la PMA et les différences de législation entre les pays, c’est devenu un véritable business.
Le terme de « tourisme médical » n’est pas faux dans les faits. Malgré tout, il faut comprendre qu’à cause des problèmes en France liés aux faibles dons d’ovocytes notamment, ces femmes n’ont pas d’autre choix que de participer à ce tourisme médical.
En juin dernier, le comité consultatif national d’éthique (CCNE) en France a donné un avis favorable concernant l’ouverture de la PMA pour les couples lesbiens et les femmes seules. Les Françaises n’auront-elles, bientôt, plus besoin de venir en Espagne?
Cet avis du CCNE représente déjà un grand progrès pour les femmes seules et les couples lesbiens. Si la loi était amenée à changer, elles n’auraient plus à se rendre en Espagne pour recevoir une insémination artificielle. Cependant, le problème reste le même pour les femmes souffrant d’infertilité qui doivent toujours recourir à une FIV. La lenteur du système français et le faible nombre de donneuses les contraignent encore à se rendre en Espagne pour espérer avoir un enfant. De plus, le CCNE s’est opposé à l’autoconservation des ovocytes, ce qui laisse peu de chances d’évolution de la loi de ce côté.