Auteur d’une vingtaine d’ouvrages très éclectiques (romans d’amour fou, livres introspectifs, manifestes) et militant civique engagé, Alexandre Jardin est une figure polyfacétique qui revendique constamment son anticonformisme. Rencontré à Paris, il nous dévoile son combat avec le mouvement Bleu, Blanc, Zèbre qui a pour mission de créer une société civile responsable et solidaire, agissant par elle-même, face à l’immobilisme de l’élite politique et à la montée des extrêmes.
Le manifeste d’Alexandre Jardin Laissez-nous faire ! On a déjà commencé incite à la désobéissance et préconise l’action de chaque citoyen, de chaque « Faizeux », comme il appelle les citoyens qui décident d’agir. Ode joyeuse au changement, à la prise de conscience, ou comment transformer nos lamentations, notre mécontentement, nos peurs, notre veulerie en une responsabilité constructive.
Le romancier propose en vue des élections de 2017 une « Primaire des Français », une primaire qui ne serait pas contrôlée par des partis mais par les citoyens. Rencontre.
Face à la crise, crise des valeurs et des institutions démocratiques, votre association Les Zèbres affirme apporter des solutions concrètes et pragmatiques sans idéologie…
C’est important le « sans idéologie » ! Les gens peuvent en avoir une mais mon regard n’a aucun présupposé idéologique. Je ne demande pas aux gens ce qu’ils pensent, seulement ce qu’ils sont, ce qu’ils font et ce qu’ils vont faire. J’ai, moi aussi, décidé de faire ma part et de convertir mes râleries en activisme civique et la société civile française en une puissance politique centrale. Et comme le disait si bien Churchill, « j’aime qu’il se passe quelque chose ; et s’il ne se passe rien, je fais en sorte qu’il se passe quelque chose ! ».
Les Zèbres sont un vaste do thank citoyen capable de mener une révolution solidaire. Et les actions viennent de partout. Ce qui est surprenant, c’est à quel point la société civile s’est mise en mouvement et ce, à l’insu de la vie médiatique : chez les gendarmes, à l’intérieur de la sécurité sociale, dans l’éducation nationale, dans le monde entrepreneurial, chez lez maires ruraux et des grandes villes, dans les fondations, dans les conseils citoyens de quartier… Il y a des gens qui se mettent à raisonner en dehors du cadre et qui obtiennent des résultats stupéfiants. Nous, on sert de catalyseurs : on les réunit, on leur demande de coopérer et on signe des accords avec les régions, les communautés en France pour faire ensemble.
Podemos et La Primaire des Français, même combat?
La Primaire des Français, ça pourrait ressembler à Podemos dans la mesure où c’est un phénomène qui est lié aux élections. Mais pour l’instant, elle ne fonctionne pas, on n’a obtenu que 72.000 signatures. Je pense qu’il n’est pas possible de mélanger les Faizeux et les partis citoyens classiques. Au fond, les Français préfèrent les vieux partis professionnels en se disant que c’est tout de même plus sérieux !
L’unité ne pourra se faire que par des actions communes mais pour l’instant, les mouvements citoyens n’ont pas voulu le faire. Ils se disent Faizeux mais, en réalité, ce sont les individus qui agissent et non pas la structure productrice d’actions communes.
En quoi votre mouvement citoyen se différencie-t-il de Podemos ?
Notre mouvement est né d’actions concrètes menées par des entrepreneurs, des élus locaux, des fonctionnaires, des milieux associatifs et non pas d’une démarche politique. Il faut agir. Ce qui ne veut pas dire que les gens qui ont soutenu Podemos ne font pas de choses concrètes mais ça reste politique. D’ailleurs, cela s’appelle bien Podemos et pas Hacemos !
Envisagez-vous une carrière politique semblable à celle d’Ada Colau, devenue maire de Barcelone ?
Devenir maire, non !
Président de la République ?
À un moment donné, nous devrons prendre le pouvoir afin de le donner au territoire, aux Faizeux, à tous ceux qui ont acquis une légitimité par de l’action concrète. Et la seule solution est de remporter l’élection présidentielle et d’obtenir une majorité au Parlement. On est en train de réfléchir à des alliances qui vont surprendre bien du monde… Ce qui importe, c’est l’œuvre commune. Ensuite, on verra qui est le plus utile pour assumer ce rôle, cela peut être moi ou un autre. Mais ne nous leurrons plus en continuant à espérer un changement de la part des élites politiques. Être le changement permet de le réaliser !
Pouvez-vous nous en dire plus ?
C’est en cours… Nous l’annoncerons dans le courant de l’été. C’est forcément plus long de procéder par actions communes que par déclarations communes ! Et j’y tiens, je souhaite que ce soient les actes qui fassent unité et non pas les associations politiques traditionnelles. Une initiative sans leader peut difficilement survivre et une initiative citoyenne qui se politise est souvent vouée à l’échec…
Il faut très clairement qu’il se dégage un leader à un moment donné pour remporter une élection mais les « moi je » sont détestables lorsqu’ils empêchent de nous exprimer. Je préfère le slogan « j’y vons » plutôt que « j’y vais » mais il est indéniable que le leadership aide à remporter ce type de victoire.
Vous avez « libéré » votre famille en levant courageusement le voile sur le passé collabo de votre grand-père. L’Espagne vit aujourd’hui les conséquences d’une transition consensuelle. Les silences et les non-dits favorisent-ils la corruption et le mensonge ?
Tous les non-dits fabriquent un déni global du réel et rendent l’accès à celui-ci presque impossible que ce soit dans les familles ou dans les pays. L’Espagne a connu ce genre de phénomène. Le problème du déni est qu’il coûte cher et qu’il est très toxique. Une fois qu’on regarde la réalité en face, comme l’ont fait les Sud-Africains, on parvient à se délivrer du maléfice. Tous les morceaux de notre histoire (le régime de Vichy, la guerre d’Algérie, etc.) sont compliqués mais on a pris l’habitude d’intégrer le déni dans notre rapport normal au réel.
Le devoir de mémoire : réouverture des blessures ou catharsis nécessaire ?
Je n’emploie jamais l’expression « devoir de mémoire » car ça laisse entendre qu’il s’agit d’un devoir pesant. Or c’est tout le contraire ! Cesser de nier le passé fait un bien fou, c’est une véritable libération ! Le processus a été long pour moi car j’ai fait preuve d’une capacité extraordinaire à regarder ailleurs, à éviter les conséquences familiales, les brisures ! Je me suis longtemps réfugié derrière un masque de légèreté et une fausse identité frivole. Les secrets peuvent tuer…
Que vous inspire la récente actualité en Europe ?
J’ai la sensation que les élites européennes nient totalement l’invraisemblable fiasco des politiques menées à terme. Un exemple : tous les fonds sont censés accompagner les actions dans les territoires. Mais les structures et les processus sont extrêmement complexes. En réalité, les sociétés civiles, techniquement parlant, ne peuvent pas en bénéficier à moins qu’il ne s’agisse d’opérateurs de très grande taille. Et si par miracle, elles parviennent à décrocher ces fonds, elles ne sont payées que deux ans plus tard… Les sociétés civiles restent en dehors de l’action européenne.
Qu’évoque pour vous Barcelone ?
Un endroit où mes fils sont heureux lorsqu’ils y vont ! Moi, je n’y suis jamais allé, je ne me l’explique pas ! Vue de loin (pour moi), la Catalogne représente un endroit où règne une vraie culture. Je la perçois comme un lieu culturellement très fécond et très dense et c’est une tradition qui perdure depuis longtemps.
À quand une présentation de vos livres à Barcelone ?
Pas à court terme ! Maintenant, on a un pays à refaire ! Je ne renonce pas pour autant à l’écriture car je suis en train d’achever mon nouveau roman. Je revendique d’ailleurs le fait que nous ayons tous des métiers dans le mouvement. C’est fondamental car nous ne sommes pas des hommes politiques !
Un message pour la communauté française de Barcelone?
Quelque chose d’assez extraordinaire va se passer en France, venez !