Se faire des amis à plus de 40 ou 50 ans à Barcelone n’a rien d’évident. Dans cette ville cosmopolite et festive, où les rencontres sont nombreuses mais souvent fugaces, créer des liens profonds relève parfois du défi, surtout lorsqu’on a passé le cap de sortir tous les deux jours.
(Crédit : Clémentine Laurent)
Il faut que ça sorte : se faire des amis à Barcelone quand on a dépassé la quarantaine ou la cinquantaine, c’est un sport extrême. Et pas du genre “canyoning dans le delta de l’Ebre”, non – c’est un sport solitaire, usant, silencieux. Le genre où on finit souvent par s’asseoir seul sur un banc face à la mer, en regardant passer des groupes de vingt-trentenaires qui rient très fort à des blagues très moyennes. Spoiler : ils se sont rencontrés hier. Et ce soir, ils font déjà la fête ensemble comme s’ils s’étaient élevés en colocation depuis le berceau.
Dans cette ville solaire qui ne dort jamais — ou alors seulement après trois mojitos et un after sur un rooftop —, l’amitié a le goût du speed-dating : intense, éphémère, sans lendemain. Tout le monde est de passage, tout le monde a mille amis, personne n’a de temps.
Et toi, dans tout ça, toi qui as 47 ans, des opinions nuancées et un foie qui n’encaisse plus les shots de tequila… tu fais quoi ? Tu scrolles sur Meetup, tu tentes des « apéros entre francophones », tu fais bonne figure. Mais le cœur n’y est pas toujours. Parce que l’amitié adulte, la vraie, celle qui prend racine et résiste au vent chaud des départs… elle trouve encore difficilement sa place dans la carte postale barcelonaise.
Ce n’est pas Veronica qui dira le contraire. Arrivée à Barcelone il y a deux ans, cette Londonienne de 43 ans avoue avoir eu bien du mal à se faire des amis de son âge. « La plupart des dispositifs destinés aux nouveaux expatriés s’adressent plutôt aux étudiants à l’université, ou à ceux qui viennent tout juste d’en sortir et qui débutent dans la vie, ou alors aux familles avec enfants, qui se retrouvent naturellement autour des écoles. Pour moi, il n’y avait rien de tout ça », nous confie-t-elle. « J’ai déménagé seule pour un emploi (mon mari m’a rejointe plus tard). Et comme la majorité de mes collègues ne vivaient pas en ville — mon bureau étant en dehors de Barcelone — ça n’a pas facilité les rencontres. »
S’exposer un peu plus
À ses yeux, Barcelone remporte la palme de la ville la plus impénétrable côté amitiés à cet âge. « On peut vite se sentir à l’écart dans une ville jeune et festive, où beaucoup sont là pour faire la fête plus que pour construire des liens profonds », déplore-t-elle. « J’ai dû vraiment me forcer à aller vers les autres, tester plein d’espaces et de groupes avant de trouver ceux qui me correspondaient, et réussir à créer des liens avec des gens qui partageaient mes centres d’intérêt. Au début, c’était très dur et très solitaire. Et franchement, venant d’un endroit où j’avais déjà mes amis, mon réseau, j’ai souvent eu le sentiment d’avoir fait une grosse erreur en partant. Mais petit à petit, j’ai rencontré des personnes avec qui j’avais des affinités, et l’âge est devenu secondaire. »
Ouf, il y a donc de l’espoir. Elle nous raconte ses petites astuces : rejoindre des groupes d’expatriés sur Facebook, participer à des événements de type Meetup ou Internations. Elle s’est également inscrite à des équipes de sport, notamment le Barcelona Netball Club, ce qui lui a permis de trouver des personnes avec les mêmes intérêts qu’elle. Et puis, au final, ça en valait bien la peine. « Ça a été fabuleux pour se faire des amis, et à partir de là, les choses se sont enchaînées… les amis d’amis ont élargi le cercle. L’une de mes meilleures amies, je l’ai rencontrée complètement par hasard, juste en m’asseyant à la même table qu’elle dans un resto. Ce que j’ai appris, c’est qu’il faut vraiment se laisser porter par chaque expérience, être ouverte à tout. Tout le monde ne deviendra pas un ami pour la vie, mais on peut augmenter ses chances si on s’expose un peu. »
Son petit bonus ? Les soirées quiz, qu’elle recommande vivement. « C’est top ! Tu peux y aller seule et être ajoutée à une équipe — connexion instantanée. Il faut juste oser faire le premier pas. »
Une ville faite pour le passage
Shreelal, 53 ans, et son épouse de 51 ans, sont toujours au stade difficile. Installé dans le quartier du Born, ce couple indo-népalais partage son temps entre Barcelone, l’Asie et les États-Unis. Ils passent désormais plusieurs mois par an dans la capitale catalane, mais sans y construire de cercle social très étoffé. « Ma femme s’est fait quelques amies en rejoignant un groupe de randonnée, mais ça s’arrête là. »
Les occasions de sociabiliser restent rares. Le couple sort souvent seul, à la recherche d’endroits calmes — ce qui relève du défi dans une ville envahie de lieux « devenus célèbres sur Instagram pour une raison ou une autre ».
Surtout que la vie sociale à Barcelone leur semble taillée sur mesure pour un public jeune, autour de la trentaine. « Ce n’est pas un problème en soi, on échange avec plaisir avec des gens plus jeunes », confie-t-il, en ajoutant qu’ils apprécient que Barcelone ne soit pas aussi tapageuse que d’autres destinations festives comme Ibiza ou Magaluf : « La scène party ne me saute pas à la figure… sauf quand je passe courir près de la plage un dimanche matin », plaisante-t-il.
Malgré tout, ils ont réussi à se faire une place dans certains cafés du quartier, où ils sont désormais reçus comme des habitués. Pas tout à fait un cercle d’amis, mais une forme de familiarité réconfortante. « Ce serait bien de pouvoir se faire des amis ici, mais dans le Born, on a l’impression que tout le monde est de passage. » Bref, à Barcelone et sans doute un peu plus qu’ailleurs, il faut du temps. Mais tout vient à point pour qui sait attendre… et oser tendre la main (voire les deux en même temps, allez).