La vente de logements occupés, un véritable marché parallèle à Barcelone

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La vente de logements occupés s’installe comme un marché parallèle à Barcelone, porté par des facteurs économiques et sociaux. Ce phénomène attire des profils bien spécifiques d’acheteurs, malgré les risques juridiques importants qu’il implique.

Photo : Equinox

C’est un marché parallèle qui ne dit pas son nom, mais qui prend de l’ampleur dans la capitale catalane. Acheter un appartement occupé, souvent par des locataires en place… ou des « okupas », ces occupants sans titre, devient une stratégie de plus en plus courante pour certains acheteurs. En échange d’une décote considérable, ils prennent le risque d’acquérir un bien qu’ils ne peuvent pas occuper immédiatement.

Au dernier trimestre 2024, ces ventes particulières représentaient 3,5% des annonces publiées à Barcelone sur le portail Idealista. La ville arrive même en tête des métropoles espagnoles avec 723 biens concernés. Selon l’avocat immobilier Josep Maria Espinet, ce phénomène se développe surtout depuis que le phénomène des squats s’est généralisé. « Selon les quartiers ou les zones, il s’est généralisé de manière exponentielle. On parle de pourcentages autour de 5% du parc de logements », nous révèle-t-il.

« Dans ce contexte, il existe une série de personnes, pas tant des fonds d’investissement, mais des petits investisseurs, des petits agents immobiliers, qui voient l’opportunité d’acheter à bas prix, en profitant du problème. Le vendeur se débarrasse de cette complication, et eux, en tant qu’acheteurs, la prennent en charge et la gèrent. Certains légalement et avec patience, tandis que d’autres utilisent des méthodes moins légales pour résoudre la situation, avec des entreprises qui font appel à des moyens peu recommandables », poursuit-il.

Il confirme que dans les bureaux d’avocats, on voit de plus en plus ce genre de profil, qui vient davantage d’investisseurs nationaux qu’étrangers, selon son expérience. « Des gens viennent me voir en disant : ‘Si j’achète cette propriété, combien de temps cela me prendra-t-il pour en sortir l’occupant et combien cela me coûtera-t-il ?’Ce n’est pas un cas isolé, cela se répète plusieurs fois par mois, une situation qui, avant, n’existait pas. » 

Selon l’avocat spécialisé Jorge Rubio, la décote peut aller jusqu’à 60% voire 70% par rapport aux prix du marché. Un appartement estimé à 300 000 € peut ainsi se négocier à 100 000 € sans problème s’il est occupé. « Pour certains acheteurs, ces logements sont la seule porte d’entrée vers la propriété dans des zones où les prix explosent. Les économies réalisées à l’achat compensent les frais de procédure et de remise en état », nous dit-il. Une expulsion peut durer jusqu’à 22 mois, pour un coût compris entre 1 500 et 6 000 €, selon lui. Mais si la récente loi « anti-okupas » vise à accélérer les démarches, les retards restent fréquents.

Évaluer les coûts et les bénéfices des logements occupés

On a également sondé des expatriés à Barcelone. Envisagent-ils l’achat d’un logement occupé comme une option éventuelle pour palier la crise du logement ? « On m’a dit qu’une fois le logement acheté, on va voir les okupas avec xxxx € en liquide, qu’on leur donne pour qu’ils partent. Ils acceptent toujours, et on récupère le bien », nous indique Florence, une Italienne trentenaire qui n’exclut pas la possibilité. Ce que nous confirme l’avocat Jorge Rubio : « Certains occupants acceptent de partir contre compensation financière ou aide au relogement, ce qui réduit les coûts et accélère les délais. »

Mais d’autres sont rebutés par cette idée. « Beaucoup d’okupas sont des familles avec enfants. Jamais je ne songerais à mettre une famille à la rue pour mon propre profit financier. C’est répugnant », affirme Brian, chercheur américain à l’Université autonome de Barcelone. Et outre ce questionnement éthique, acheter un bien occupé comporte de nombreux autres risques, comme celui de découvrir des dégâts non visibles, parfois lourds. « La réhabilitation peut alourdir le budget de 20 à 30% », prévient Jorge Rubio.

D’autres encore nous servent leurs propres théories sur ce marché parallèle. « Ma théorie du complot (sortie tout droit de ma tête), c’est que les investisseurs et les okupas travaillent ensemble », avance Sarah, Brésilienne qui travaille dans l’informatique à Barcelone. « C’est un moyen de faire baisser le prix du bien. Les investisseurs n’ont d’ailleurs presque jamais besoin d’un prêt. Donc s’ils s’associent avec les okupas, ils achètent le logement bien moins cher, donnent un pourcentage aux okupas, puis revendent le bien avec une plus-value. » Ça pour un complot…

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