Quand l’armée vient au secours des sinistrés : le cas des inondations de Valence

Le 29 octobre 2024, une violente dépression a frappé la région de Valence, provoquant des pluies torrentielles, d’importants dégâts matériels et un terrible bilan humain (près de 240 morts). Face à l’impuissance des pouvoirs publics et des services civils, l’armée espagnole a été appelée à la rescousse pour aider à retrouver les disparus, à déblayer et à reconstruire. Retour sur le fonctionnement de l’armée en Espagne et sur le rôle qui lui est dévolu dans la gestion des crises survenant sur le territoire national.

Photo : Alejandro Martínez Vélez Europa Press

L’armée espagnole s’organise sur la base de l’article 8 de la Constitution de 1978, qui dispose que les Forces armées constituées de l’armée de Terre, de la Marine et de l’armée de l’Air, sont les garantes de l’ordre constitutionnel.

Le roi est le chef suprême des armées (art. 62.h.), mais le commandement effectif est confié au président du gouvernement (Pedro Sanchez depuis 2018) et, par délégation de pouvoir, à la ministre de la Défense (Margarita Robles depuis 2018), secondée par un chef d’état-major de la Défense (JEMAD), fonction à la fois politique et militaire, faisant le lien entre la chaîne de commandement militaire et la hiérarchie politique.

L’organisation actuelle de l’armée

Le cadre juridique de l’armée espagnole est profondément réformé dans les années 2000. La Loi organique 5/2005 sur la Défense nationale sert de fondement à cette modernisation. Suivent en 2006 une loi sur les hommes du rang (Ley de Tropa y Marinería), en 2007 une loi sur la carrière militaire (Ley de Carrera Militar) et en 2011 un nouveau code éthique des Forces armées (les Reales Ordenanzas). En bref, l’armée espagnole s’adapte aux enjeux spécifiques du XXIe siècle.

En 2024, l’armée espagnole est professionnelle, le service militaire obligatoire ayant été suspendu au 1er janvier 2002. La loi sur la carrière militaire et celle sur les hommes du rang précisent les conditions de recrutement. La loi prévoit entre 130 et 140 000 militaires professionnels en service actif, dont 50 000 cadres de commandement (à partir du grade de sous-officier).

Or l’armée espagnole peine à recruter. Alors que le second gouvernement Aznar (2000-2004) avait envisagé de recruter 120 000 soldats (hors cadre de commandement), la réalité de l’attractivité des emplois militaires a obligé les gouvernements successifs à revoir à la baisse les possibilités de recrutement qui depuis, se situent approximativement à entre 79 et 86 000 hommes du rang.

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Pour autant, l’armée espagnole s’intègre pleinement aux structures internationales de défense et de sécurité. L’Espagne obtient l’adhésion à l’OTAN en mai 1982 malgré l’opposition de la gauche socialiste – qui s’empresse de la geler dès son arrivée au pouvoir dans l’attente de la tenue d’un référendum sur la permanence de l’Espagne dans l’organisation. Organisé le 12 mars 1986, le référendum donne une large victoire au oui. Ce vote stipule également que l’Espagne reste à l’écart de la structure militaire intégrée, qu’elle ne rejoindra que discrètement en 1999, sous le premier gouvernement Aznar.

Par la suite, l’Espagne obtiendra son intégration à l’Union de l’Europe occidentale (UEO) et participera à plusieurs forces militaires créées durant les années 1990, dont l’Eurocorps, qu’elle rejoint en 1994.

Depuis, elle participe régulièrement aux entraînements des forces de l’OTAN et à diverses opérations internationales sous l’égide l’ONU, de l’OTAN et de l’Union européenne ; on n’a pas oublié, non plus, sa participation à la « coalition des volontaires » mise sur pied par George W. Bush en 2003 pour renverser le régime de Saddam Hussein en Irak.

L’UME, une unité prévue pour répondre aux catastrophes naturelles

À l’initiative du premier ministre José Luis Rodríguez Zapatero (2004-2011), une nouvelle unité est créée en 2006, deux ans après les graves incendies de l’été 2004, à l’intérieur de ces Forces armées : l’Unité militaire d’Urgences (Unidad Militar de Emergencias).

L’article 15.3 de la loi de défense nationale de 2005 dispose que « les Forces armées, aux côtés de l’État et des Administrations publiques, doivent préserver la sécurité et le bien-être des citoyens dans les cas de risque grave, de catastrophe, de calamité ou autres nécessités publiques, en accord avec ce qu’établit la législation en vigueur ».

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Comme une force expéditionnaire, l’UME dispose de cinq bataillons d’intervention répartis sur le territoire péninsulaire : le centre de commandement, le quartier général et le 1er bataillon sont basés à Madrid ; le 2e bataillon, basé à Séville, intervient aux Canaries ; le 3e est basé à Valence ; le 4e à Saragosse et le 5e à León.

Créée à la suite des incendies de l’été 2004, l’unité a pour mission de lutter contre tout type de catastrophes naturelles. Mais l’examen de ses statistiques montre qu’elle intervient surtout contre les incendies de forêt – le plus souvent volontaires – à hauteur de 71 %, contre seulement 10 % pour les inondations.

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À l’épreuve de la catastrophe de Valence

Un nombre inhabituellement élevé de militaires et de matériels a été mobilisé pour répondre aux inondations liées à l’épisode de la depresión aislada en niveles altos (DANA) à Valence les 29 et 30 octobre dernier.

Il faut préciser à cet égard que l’UME n’intervient pas de manière automatique sur le territoire national. Elle ne peut intervenir qu’en cas de situation d’urgence dite « situation opérationnelle 2 », quand les moyens régionaux ne sont plus suffisants pour contenir la catastrophe en cours. Seul le gouvernement régional peut avertir la délégation du gouvernement central en région qui, à son tour, prévient le ministère de l’Intérieur en charge de valider le recours à l’UME. Du ministère de l’Intérieur, la demande d’intervention passe au ministère de la Défense, qui activera l’unité et définira les moyens nécessaires.

L’armée n’a donc été activée qu’au cas par cas ; on comprend dès lors pourquoi elle a pu intervenir dans certains villages de la région de Valence plutôt que dans d’autres, alors même que la situation qui y prévalait requérait également son intervention.

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Une crise toujours sans responsable

Le 2 novembre dernier, le journal valencien Levante précisait que ce recours aux Forces armées n’était du ressort que du gouvernement central et se faisait l’écho du mécontentement aussi bien de la population civile, qui se sentait abandonnée, que de certains militaires qui disaient leur impuissance face à une activation qui tardait à arriver.

Le général Francisco Javier Marcos, commandant de l’UME, a pour sa part rappelé, lors d’une conférence de presse quelques jours plus tard, la responsabilité du gouvernement régional dans la demande d’activation de l’unité militaire pour permettre son intervention dans les villages sinistrés.

Plusieurs mois après la catastrophe, et après avoir rejeté la responsabilité sur le gouvernement de Madrid, sur l’armée et sur l’Agence espagnole de météorologie (AEMET), le président du gouvernement autonome de Valence, Carlos Mazón (Parti populaire), ne parvient pas à se dédouaner des responsabilités qui pèsent sur lui quant à la gestion de l’alerte, la prévention et l’évacuation des zones à risque.The Conversation

Par Jules Rodrigues, Professeur d’espagnol, docteur en civilisation espagnole contemporaine, Université de Lille

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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