La tech à Barcelone, jadis eldorado en pleine effervescence, semble avoir perdu de son éclat. À qui la faute ?
Photo : Clémentine Laurent/Equinox
Barcelone, place to be de la tech, promettait monts et merveilles : soleil, start-ups, siestas créatives et vidéoconférences au bord de l’eau. Tout le gratin de l’innovation avait posé ses tongs dans la cité catalane, séduit par la vibe locale, un coût de la vie inférieur à d’autres grandes métropoles européennes et un vivier de talents internationaux.
Mais la fiesta semble finie. Les oiseaux de nuit de la tech chantent faux. Les chercheurs d’emploi, en mode galère, tirent la sonnette d’alarme : Barcelone n’est pas (plus ?) la Silicon Beach. Alors qu’il était courant d’obtenir plusieurs offres en quelques semaines, certains cherchent maintenant un job depuis plusieurs mois sans succès.
« Malgré plusieurs années d’expérience, je n’ai pas décroché un seul entretien depuis deux mois », se plaint Jacky, développeur web d’une trentaine d’années. « C’est très différent d’il y a deux ans, où je pouvais trouver un emploi à Barcelone en trois semaines. J’adore mon travail actuel, mais je cherche maintenant un poste entièrement en télétravail. De plus, il y a de moins en moins d’offres d’emploi dans l’informatique. »
« Ces 18 derniers mois ont été extrêmement lents, partout en Europe », surenchérit Damir, la quarantaine. « J’ai plus de 20 ans d’expérience dans l’informatique et la cybersécurité, et il m’a fallu 11 mois pour décrocher un emploi. Seules cinq entreprises m’ont proposé un entretien durant cette période. Et la tendance ne semble pas s’inverser. »
« Je pense que ce n’est pas seulement dans le secteur de la tech à Barcelone », note de son côté Anna. « Il y a quatre ans, les offres d’emploi venaient à moi, et maintenant cela fait trois mois que je cherche un poste, malgré des années d’expérience en gestion de projet, opérations et tourisme… et toujours rien. »
Une crise ou un retour à la normale pour la tech à Barcelone ?
Pour Julien Mur, recruteur à Barcelone et co-fondateur de Black Recruitment, la situation est claire : « La fête est finie. » Mais qui a ainsi osé casser l’ambiance ?
Le premier élément majeur est selon lui la diminution drastique des financements dans le secteur technologique. Les start-up et scale-up fonctionnent grâce aux levées de fonds. Or le débit s’est tari et le robinet fait désormais du goutte-à-goutte. « Beaucoup de ces entreprises n’ont plus d’argent. Les investisseurs refusent de remettre au pot, donc elles doivent réduire leurs effectifs, voire fermer », précise-t-il.
Barbara Driss, consultante en gestion carrière et fondatrice de Trouve Ton Job d’Expat, partage son analyse du marché de l’emploi dans la ville. Elle rappelle qu’à la sortie de la crise du Covid, entre 2021 et mi-2022, de nombreuses levées de fonds étaient aisées grâce à un coût de l’argent plus faible et à une certaine visibilité économique. Mais la guerre en Ukraine et la chute des marchés financiers sont depuis passés par là. « Les start-ups ont plus de difficultés à lever des fonds, car il y a moins d’argent disponible qu’il y a quelques années. On assiste à un réalignement du marché », précise-t-elle. Plutôt qu’une crise, il s’agirait donc d’un réajustement après des années d’hypercroissance artificielle.
« Entre 2020 et 2024, on a vu un afflux massif de start-up françaises à Barcelone, qui embauchaient principalement des Français, pour une question de matching culturel », explique Julien Mur. « Mais les dernières grosses levées datent d’il y a un an, et aujourd’hui, ces entreprises ont brûlé tout leur cash. Ce qu’on a vécu après le Covid, c’était une bulle. Il y avait énormément d’argent à investir après deux ans de restrictions, et des entreprises ont levé des fonds qu’elles n’auraient jamais obtenus en temps normal. » Aujourd’hui, la bulle éclate et le marché se stabilise.
Dénicher un entretien pour un emploi dans la tech à Barcelone relève de plus en plus du parcours du combattant
La fin du télétravail dans la tech à Barcelone
Un autre facteur a joué : la fin du travail à distance généralisé. « Il y a encore 2-3 ans, beaucoup de Français travaillaient depuis Barcelone pour des start-up parisiennes. On voyait des commerciaux, des programmeurs travailler en full remote », nous indique Julien Mur. Mais cette tendance s’essouffle. « Maintenant, ces entreprises demandent à leurs employés de revenir en présentiel, et ceux qui travaillaient à distance pour des boîtes françaises se retrouvent sans rien. »
Pour les Français en quête d’un nouvel emploi, l’alternative serait de se tourner vers le marché espagnol. Mais là aussi, les perspectives sont limitées. « La tech à Barcelone, espagnole, est beaucoup moins développée que la tech française, et les salaires sont bien plus bas », note Julien Mur. De plus, les entreprises locales privilégient les candidats espagnols. « Si une PME peut embaucher un junior local à 25 000 euros au lieu de 40 000, elle ne va pas hésiter », explique-t-il.
Selon Barbara Driss, si les postes très techniques ne sont pas forcément les plus touchés, ce sont surtout les profils commerciaux, et en particulier les seniors, qui rencontrent le plus de difficultés. « Il y a pas mal de boîtes qui préfèrent embaucher des juniors, car c’est moins cher. C’est un peu le business model de Barcelone », explique-t-elle.
Un marché de l’emploi caméléon à Barcelone
La récente chute des grandes entreprises tech à Wall Street inquiète aussi. Depuis l’investiture de Donald Trump, les géants de la tech ont perdu plus de 1.800 milliards de dollars. Cette période de vaches maigres peut-elle aggraver la situation à Barcelone ? Pour Julien Mur, l’impact est indirect, mais réel. « La baisse des cours de bourse influence les investissements. Les start-up françaises qui comptent sur des levées de fonds dépendent des Venture Capital, et s’ils estiment que la tech est moins porteuse, ils placent leur argent ailleurs. »
Il cite un exemple concret : « Un de mes clients à Paris, qui a des bureaux à Barcelone, attendait une levée de 60 millions d’euros en mars pour se développer. Aujourd’hui, cette levée est compromise. Résultat : ils prévoyaient d’embaucher entre 80 et 100 personnes, et finalement, ils ne recruteront personne. »
Pas d’alarmisme toutefois : l’expert rappelle que le marché de l’emploi des Français à Barcelone a toujours fonctionné par vagues. « Quand je suis arrivé ici (il y a vingt ans, NDLR), c’était la mode des call centers. Barcelone était la capitale des centres d’appels francophones. Puis il y a eu la vague de la tech, et aujourd’hui, on arrive à la fin de ce cycle. » Quelle sera la prochaine mode ? Le recruteur place ses pions sur l’IA, mais prêche par excès de prudence…
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