Élections : pourquoi la proportionnelle à l’allemande et à l’espagnole devrait inspirer la France

Les élections fédérales allemandes ont lieu ce dimanche 23 février. Quels sont les avantages et les inconvénients du mode de scrutin proportionnel utilisé en Allemagne mais aussi en Espagne ? Quelles conclusions tirer pour réforme électorale en France ? Avec son scrutin majoritaire, notre pays fait figure d’exception en Europe.

Par Jérôme Lang, Université Paris Dauphine – PSL; Jean-Francois Laslier et Mirjam Dageförde, American University of Paris (AUP)

Le mode de scrutin proportionnel, en vigueur en Allemagne et en Espagne, nous permet-il de tirer des conclusions utiles pour la France ?

L’Allemagne pratique un scrutin mixte où chaque électeur vote deux fois ; sa « première voix » porte sur un candidat de sa circonscription (règle majoritaire à un seul tour), et sa « seconde voix » porte sur une liste proposée par un parti à l’échelle régionale (celle des Länder).

La composition globale du Bundestag est proportionnelle au nombre de « secondes voix » qu’ont reçues les différents partis, pourvu qu’ils en obtiennent au moins 5 % nationalement (avec quelques exceptions).

Il y a donc deux types de députés : ceux élus directement dans des circonscriptions, et les autres, élus sur des listes partisanes afin que le résultat global soit bien proportionnel.

Les différents modes de scrutin parlementaire dans l’Union européenne

L’Allemagne est loin d’être seule à pratiquer un scrutin mixte : sept autres pays européens le font. Les systèmes danois, estonien, maltais et suédois, comme l’allemand, sont dits « compensatoires ».

Les systèmes hongrois, italien et lituanien, eux, sont additifs (ou « parallèles ») : les sièges supplémentaires sont répartis en proportion des scores obtenus par les partis, indépendamment des résultats locaux. Ces systèmes ne peuvent pas garantir une proportionnalité intégrale, mais permettent de s’en approcher.

Un seul pays, la France, élit ses députés dans des circonscriptions à siège unique.

Deux pays (Pays-Bas, Slovaquie) élisent leur parlement au moyen d’un scrutin proportionnel de liste dans une unique circonscription nationale.

Treize pays (Autriche, Belgique, Bulgarie, Chypre, Croatie, Espagne, Finlande, Lettonie, Luxembourg, Pologne, Portugal, Roumanie, République tchèque) élisent leur parlement par un scrutin de liste proportionnel par circonscription. La taille moyenne des circonscriptions varie de 5 à 15 députés. La France a utilisé une fois (en 1986) un scrutin de ce type ; les circonscriptions étaient alors les départements.

Un scrutin de liste n’empêche pas d’élire les députés sur leur nom propre (et non en fonction de l’ordre sur une liste établie par la direction d’un parti) : certains pays, comme l’Autriche, permettent à l’électeur de donner une priorité à certains des candidats de la liste choisie.

Enfin, trois pays (Grèce, Irlande et Slovénie) ont des systèmes qui ne rentrent pas tout à fait dans l’une de ces catégories, mais qui visent tous trois à s’approcher d’une représentation proportionnelle.

Proportionnalité et redevabilité

Deux critères primordiaux peuvent permettre de comparer les différents systèmes :

-la proportionnalité entre le nombre de sièges alloués aux différents partis et le nombre de voix qu’ils ont obtenues.

-la redevabilité : un député élu localement, dans sa circonscription, est redevable à l’ensemble des électeurs de sa circonscription : les négliger met en péril sa réélection. Ces députés ont été élus sur leur nom propre, en raison d’une implantation locale, et pas seulement (certes, un peu quand même) parce qu’ils ont réussi à se faire suffisamment d’amis au sein de leur parti.

Le système français est parfait du point de vue de la redevabilité. En revanche, c’est celui qui peut s’écarter le plus de la proportionnalité.

La distorsion qu’opère, souvent, le scrutin majoritaire, a deux types de conséquences. D’une part un parti disposant d’une majorité seulement relative dans l’électorat peut remporter une majorité écrasante des sièges : on l’a vu dans la quasi-totalité des élections législatives de la Ve République, et notamment en 2017, avec la coalition LREM-MoDem. D’autre part, des partis peuvent être fortement sous-représentés.

Face à ces problèmes, la représentation proportionnelle garantit d’une part une représentation raisonnable aux « petits » partis, et d’autre part qu’un parti isolé ne peut avoir de majorité absolue à l’Assemblée que s’il a obtenu une majorité absolue dans l’électorat.

Le système français est peu robuste : de faibles variations de scores peuvent avoir des effets importants sur la composition de l’Assemblée. Ainsi, la grande incertitude qui régnait en France, quelques semaines avant le scrutin de 2024 (où la possibilité que le Rassemblement national obtienne une majorité absolue des sièges avec environ 30 % des voix n’était pas à exclure), contraste avec la robustesse du système allemand : une variation de 5 % du score de l’AfD aboutirait à une variation d’un peu plus de 5 % de sa représentation au Bundestag.

À l’opposé du système français, les scrutins proportionnels nationaux, comme aux Pays-Bas, offrent une proportionnalité parfaite, mais aucune redevabilité.

En ce qui concerne les scrutins de liste proportionnels par circonscription, comme en Espagne, la proportionnalité dépend avant tout de la taille des circonscriptions. Bien entendu, plus les circonscriptions sont grandes, plus la représentation s’approche de la proportionnalité, et moins la redevabilité est bonne.

Premier ministre Espagne

Il s’agit alors de trouver une taille idéale de circonscriptions qui permettent de s’approcher suffisamment de la proportionnalité sans faire grossir outre mesure les circonscriptions. Les chercheurs Carey et Hix ont montré qu’il existe ainsi un « sweet spot » qui se situe entre 4 et 8 députés par circonscription.

Des simulations sur les données françaises de 2012, 2017 et 2022 aboutissent à une conclusion similaire, avec des résultats satisfaisants si les circonscriptions désignent chacune environ 6 députés. Attention cependant, il ne faut pas seulement que les circonscriptions aient 6 députés « en moyenne », comme en 1986, il faut respecter une homogénéité de la taille des circonscriptions : une variation du nombre de députés entre circonscriptions a tendance à introduire un biais en faveur des partis forts dans les petites circonscriptions.

Les scrutins mixtes compensatoires, comme en Allemagne, permettent d’allier représentation proportionnelle et redevabilité. Les scrutins mixtes additifs ou parallèles, comme en Italie, ne garantissent pas une proportionnalité intégrale, mais permettent tout de même de s’en approcher.

Par une description plus précise des paramètres des scrutins mixtes, et des comparaisons sur données françaises nous avons montré que les systèmes compensatoires permettent d’atteindre un haut niveau de proportionnalité tout en gardant la plupart des députés élus localement.

Gouvernabilité

En France, les voix qui s’élèvent contre les systèmes proportionnels avancent souvent que « la proportionnalité donne des parlements ingouvernables ».

Il est vrai que le scrutin majoritaire permet parfois de forcer la gouvernabilité, mais ce n’est pas toujours le cas, comme on l’a vu en 2024. De toute manière, en l’absence d’un parti absolument majoritaire, il faut former des gouvernements de coalition. Rien de plus ordinaire : comme on l’a vu, sur les 27 pays de l’UE, 26 élisent leur parlement avec un mode de scrutin proportionnel, et sont donc régulièrement confrontés à ce problème.

Certes, former des coalitions de gouvernement n’est pas toujours une sinécure, et on a vu, dans certains pays et à certaines époques, de périodes sans gouvernement ou des gouvernements dits techniques, mais les comparaisons historiques et internationales montrent que c’est somme toute assez rare. Par ailleurs, la gouvernabilité n’est pas mécaniquement liée au mode de scrutin : elle tient à la faculté et la volonté qu’ont les partis de collaborer.The Conversation

Jérôme Lang, Directeur de recherche au CNRS en sciences informatiques, Université Paris Dauphine – PSL; Jean-Francois Laslier, Economiste et Mirjam Dageförde, Assistant Professor of Comparative Politics, American University of Paris (AUP)

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Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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