L’Espagne se veut pionnière en égalité des sexes. Mais après 45 ans de dictature conservatrice, elle porte encore les stigmates d’une tradition de genres enracinée. En 2025, dans un pays où le féminisme côtoie de plus en plus de masculinisme, où en sont les hommes ?
Photo de couverture : Clémentine Laurent
« J’ai grandi dans les années 1990. L’image que j’ai des hommes, ce sont typiquement des hommes durs, sûrs d’eux, très masculins, qui ont du mal à exprimer leurs sentiments parce que c’est considéré comme un signe de faiblesse », raconte Jordi, Barcelonais de 33 ans, né et élevé dans la cité comtale. Comme lui, beaucoup d’hommes espagnols peinent à concilier l’éducation qu’ils ont reçue – prônant les valeurs du « vrai homme » – avec une société qui les pousse à se déconstruire.
Selon la dernière étude de la FAD (fondation pour la santé des jeunes) auprès des Espagnols d’entre 15 et 29 ans, 6 jeunes sur 10 disent avoir reçu une éducation traditionnelle en ce qui concerne les genres. On leur a inculqué qu’un « vrai homme » est dur, fort, responsable, travailleur, insensible et séducteur. Il domine la femme. Mais l’étude est formelle, plus un jeune homme est loin des clichés de la masculinité, plus il est féministe.
Un résultat qui reflète l’engagement de l’Espagne en matière d’éducation au genre. En 2022, le gouvernement annonçait par exemple son troisième plan stratégique pour l’égalité femme-homme, expliquant investir 21 millions d’euros dans ce programme visant à « faire du féminisme une affaire d’État ».
Et ça fonctionne. 3 jeunes sur 4 perçoivent les violences de genre comme un problème social majeur, rapporte l’étude.
Photo : Equinox
Mais cette avancée heurte certains groupes masculins : 39% des hommes qui s’identifie aux clichés masculins pensent que le féminisme leur veut du mal. « Peut-être que certains ne sont pas prêts à entendre que l’égalité est une chose indiscutable », tente d’explique Jordi, notre avocat barcelonais.
Extrême-droite et masculinisme
Ce rejet du féminisme ne reste pas marginal. Il se structure, notamment au sein de l’extrême-droite, où la défense d’une masculinité « traditionnelle » se mêle souvent aux discours nationalistes et religieux. En Espagne, c’est ce qu’il se passe avec le collectif néo-fasciste Facta, qui s’est réuni en novembre dernier à Madrid pour parler masculinité.
Durant cette réunion, les membres ont évoqué José Antonio Primo de Rivera, rien de moins que le fondateur de la Phalange (parti politique fasciste qui mènera au franquisme), comme exemple d’un « vrai homme ». Les chiffres confirment cette liaison entre partis de droite et vision machiste de la société. L’étude montre qu’il y a un profil très identifié, qui se positionne à droite de l’échiquier politique et se considère très religieux. À l’inverse, les hommes avec des croyances diamétralement opposées sont loin de ces clichés.
Jordi nous confirme, lui aussi, le rôle du franquisme dans l’évolution idéologique de l’Espagne : « peut-être qu’on n’est pas le pays le plus progressiste du monde car on a eu 45 ans de dictature pendant lesquelles la femme était assujettie à l’homme. Depuis la démocratie, on a beaucoup lutté pour l’égalité mais il y a encore du chemin à faire, c’est sûr ».
Un chemin déjà bien tracé car l’Espagne se transforme indubitablement, que ce soit dans la sphère privée ou publique. En témoignent par exemple des séries modernes comme « Machos Alfa » sur Netflix. Dans cette fiction, quatre hommes dans la quarantaine font face à une société qui évolue trop vite pour eux.
Au Pays basque, ce n’est pas à la télévision mais dans la vraie vie que le changement opère, avec des « cours de formation sur l’égalité des sexes pour les hommes exerçant une fonction publique ». Un pari sur l’avenir : déconstruire la masculinité dès la sphère publique pour que, demain, ces résistances ne soient plus qu’un vestige du passé.