Alors que l’Espagne affiche la meilleure croissance économique de l’Union européenne, son gouvernement se pavane… mais les citoyens n’en voient pas les effets sur leur vie quotidienne. Explications.
Photos : Clémentine Laurent
L’économie ibérique a le vent en poupe : elle croit quatre fois plus vite que la moyenne européenne. L’information, étonnante, a fait le tour des médias du monde entier et commence à agacer sérieusement les Espagnols. Le colère s’est cristallisée la semaine dernière sur TikTok, lors de la diffusion d’une énième vidéo sur le sujet par le compte français @infos.minutes. Alors que le post explique que « la péninsule ibérique est devenue le moteur économique de l’Europe », prenant « sa revanche sur l’Allemagne », les commentateurs se déchaînent. « Je suis espagnol et je n’y crois pas, nous sommes dans une pire situation que jamais » ; « venez en Espagne et vous verrez que les graphiques ne se traduisent pas dans la réalité » ; « c’est complètement faux » ; « on n’arrive pas à boucler les fins de mois ».
@infos.minutes : L’Espagne atteint un taux de croissance record de 3,2% en 2024. La péninsule ibérique est devenue le moteur économique de l’Europe. #actu #info #infosminutes #news #socialnews #actualite #information #espagne #europe ♬ News, news, seriousness, tension(1077866) – Lyrebirds music
La réalité du quotidien est-elle si éloignée des excellents chiffres de croissance ? Oui, répondent en choeur les économistes. Si la croissance est si haute, c’est déjà parce que l’économie espagnole était tombée très bas lors des crises de 2008, 2012 et durant la pandémie. Il s’agit donc d’un « effet de rattrapage », selon les experts. Et ce rebond est notamment porté par le secteur du tourisme, très impacté par la crise du Covid-19 et l’arrêt des voyages.
Or, « c’est l’un des secteurs qui concentre le plus d’employés dans les groupes jeunes et peu qualifiés », explique un récent rapport de la Banque d’Espagne. « Il s’agit d’emplois mal rémunérés et avec peu de perspectives d’évolution », ajoute Albert Carreras de Odriozola, directeur de l’École de Commerce International ESCI-UPF. Une rémunération au ras des pâquerettes, mais aussi une grande précarité avec le nouveau contrat de travail « discontinu à durée indéterminée » qui permet à l’employeur de suspendre puis reprendre à l’infini, selon ses besoins du moment.
Une croissance en trompe-l’oeil
L’augmentation de la richesse nationale est également soutenue par l’accueil massif de main-d’oeuvre étrangère. La hausse de la population active fait mécaniquement grimper le PIB global du pays… mais pas du tout le PIB par habitant qui est même en baisse. « Pour les étrangers venant de pays pauvres, les salaires proposés ici sont très bons, mais en réalité, ils ne suivent pas l’augmentation du coût de la vie et nous sommes dans une situation pire aujourd’hui qu’il y a quelques années », estime Albert Carreras de Odriozola.
Et en effet, le salaire médian net mensuel (la moitié de la population gagne plus, l’autre moins) n’est que de 1460 euros en Espagne, par rapport à 1940 euros en France. Et si longtemps, les bas salaires espagnols permettaient d’avoir un bon niveau de vie grâce à un coût du quotidien moins élevé, ce n’est plus du tout le cas depuis les récentes vagues d’inflation. Le pouvoir d’achat français est actuellement de 20% supérieur à celui de ses voisins ibériques.
Une situation qui pourrait perdurer, voire s’aggraver si Madrid persiste à miser sur des secteurs sans perspectives d’évolution comme le tourisme ou le bâtiment. « C’est une catastrophe, nous n’investissons pas sur l’avenir, s’inquiète l’enseignant, l’Espagne devrait investir davantage sur des secteurs comme les nouvelles technologies qui proposent des postes qualifiés et bien rémunérés ». Le gouvernement espagnol semble toutefois avoir pris la mesure de l’enjeu. Il a annoncé le mois dernier un investissement de 150 millions d’euros pour aider les entreprises à intégrer l’intelligence artificielle dans leurs processus de production.