50 ans après sa mort, Franco divise encore l’Espagne (et les jeunes)

Equinox Barcelone franco

Le 20 novembre 1975 mourrait Francisco Franco, marquant la fin d’une dictature longue de près de 40 ans. Un demi-siècle plus tard, l’Espagne célèbre pour la première fois en (très) grande pompe l’anniversaire du décès d’un chef encore clivant. Décryptage. 

« Nécrophilie absurde ». Voilà, en peu de mots, comment Vox (extrême-droite espagnole) a qualifié les célébrations entourant le 50e anniversaire de la mort de Franco, qui s’étendent sur toute l’année 2025. Des paroles choc qui rappellent, un demi-siècle après sa mort, que la figure du Caudillo est encore hautement inflammable.

Appelé « Espagne en liberté » et composé d’une centaine d’activités organisées dans toute l’Espagne, le programme du cinquantenaire cherche à ratisser large et surtout à parler aux jeunes. On y trouve pêle-mêle de nombreuses expositions, une série télévisée ou encore des cycles de conférences et tables rondes.

Un calendrier fourni qui déplait surtout dans la sphère politique. La droite, représentée par les modérés du Partido Popular et les radicaux de Vox s’insurge de voir le passé franquiste enterré avec tant de soin ressurgir, comme Isabel Díaz Asuyo, présidente de la communauté madrilène et membre du PP qui accuse Pedro Sánchez de vouloir « ramener la violence dans les rues » en rappelant son passé torturé au pays.

extreme droite meeting

Derrière ces insultes se cache, pour le politologue et professeur à l’université Pompeu Fabra Sergio de Maya, la volonté de conserver la chape de silence qui couvre encore les crimes du régime : « historiquement, notre droite est la fille des partis franquistes. Alors elle ne peut pas défendre ou nier son passé, mais elle peut le silencier. Ils savent, d’ailleurs, que leur passé est plus lié au franquisme qu’à la démocratie ».

L’idée derrière ce spectaculaire anniversaire est d’opérer une fois pour toutes une coupure nette entre dictature et démocratie, chose qui n’a pas été faite auparavant, ou en tout cas pas avec autant de clarté. En effet, contrairement aux autres dictatures européennes, souvent terminées dans des renversements du chef d’état, celle de Franco ne s’est pas arrêtée parce qu’un groupe armé l’a destitué. La dictature s’est arrêtée car Franco est mort et que le roi Juan Carlos Ier – que lui-même avait désigné comme successeur – a décidé d’instaurer la démocratie.

Et c’est précisément lors de la transition entre dictature et démocratie que le malaise espagnol et un certain flou démocratique subsistant toujours aujourd’hui a trouvé sa source, explique encore le professeur : « l’Espagne a un point de départ dans la démocratie plutôt original. Tout s’est fait à travers un pacte silencieux avec les héritiers de Franco et notamment le PP. Bien sûr, ce silence est synonyme d’une grande injustice, surtout du point de vue de la transmission de la mémoire aux jeunes générations ».

L’avenir démocratique en question

Les jeunes générations, justement, sont celles qui font désormais bouger les lignes, continue Sergio de Maya : « les petits-enfants de ceux qui vécurent la dictature revendiquent la lutte contre le franquisme et leurs arrières petits-enfants réclament les valeurs de la démocratie ». Vraiment ? Ce n’est pas ce qui est ressorti d’un enquête effectuée par le baromètre 40dB et El País en septembre 2024, révélant qu’un jeune espagnol sur quatre préfère « dans certaines circonstances » un régime autoritaire à une démocratie. 

Et c’est en grande partie pour réagir à ces chiffres alarmants que ce vaste anniversaire est mis en place, affirme notre expert. Sur le site d' »Espagne en liberté », on peut lire que l’objectif est de « célébrer ce que nous sommes et imaginer ce que nous pourrions devenir au cours des 50 prochaines années de liberté et de démocratie ».

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Alors que partout en Europe montent les partis d’extrême-droite et que l’Espagne est le seul pays de l’Union gouverné par la gauche, la bataille idéologique pour le futur politique du vieux continent fait rage. Les 50 ans de la mort de Franco font donc partie d’un plus vaste chantier, amorcé par la gauche pour populariser ses idées démocratiques, tout en empêchant la droite de fédérer de nouveaux électeurs. Forcément, ce n’est pas du goût des partis conservateurs, qui y dénoncent une victimisation et un « coup de publicité » de la part de Sánchez.

Comme le dit Sergio de Maya, « ces 50 ans, ce n’est pas que le programme des célébrations mais une volonté étalée sur plusieurs années de compenser la faiblesse démocratique. C’est un élément de plus qui peut aider à remettre la démocratie au centre ». À voir, après cette année commémorative, ce que l’avenir politique espagnol – et européen – réserve.

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