L’Espagne se dirige vers une nouvelle année record de tourisme tandis que la part du secteur dans le PIB national ne cesse de croître. Une fausse bonne nouvelle.
Il y a bien longtemps, avant la fin du franquisme, que la péninsule ibérique mise sur son climat et ses 8000 kilomètres de plages pour attirer les visiteurs. Et le célèbre tourisme « sol y playa » fonctionne toujours avec plus de 90.000 millions de touristes en 2024 et la perspective de passer la barre des 100 millions en 2025.
Le secteur a cumulé l’année dernière 184 milliards d’euros de recettes, un chiffre complètement inédit et qui, surtout, a grimpé au rythme de 18% en une seule année. Mathématiquement, le tourisme prend plus de poids dans la richesse nationale, en dépassant désormais les 12,3% du PIB.
Pour les professionnels du secteur, c’est l’euphorie. Mais pour le reste du pays, il n’y pas de quoi se réjouir selon Albert Carreras de Odriozola, directeur de l’École de Commerce International ESCI-UPF. « C’est une catastrophe, nous n’investissons pas sur l’avenir », confie-t-il à Equinox. Et nombreux sont les économistes qui déplorent la part grandissante du tourisme dans l’économie ibérique. La Banque d’Espagne elle-même, dans un récent rapport, avertit des dommages collatéraux d’un tel succès, comme la congestion de nombreuses destinations, la dégradation des espaces naturels et les difficultés d’accès au logement.
Bas salaires et précarité
L’institution s’inquiète aussi de la qualité des 2,5 millions d’emplois que génèrent l’industrie touristique. « C’est l’un des secteurs qui concentre le plus d’employés dans les groupes jeunes et peu qualifiés », explique le rapport. « Il s’agit d’emplois mal rémunérés et avec peu de perspectives d’évolution », ajoute Albert Carreras de Odriozola. Des conditions compliquées auxquelles il faut ajouter une très forte précarité, comme en témoignent les importantes différences saisonnières dans les chiffres nationaux du chômage. Les entreprises de l’hôtellerie et de la restauration sont d’ailleurs les plus friandes du contrat, typiquement espagnol, appelé « discontinu à durée indéterminée ». Comprendre : un CDI que l’employeur peut suspendre puis reprendre à l’infini, selon ses besoins du moment.
« L’Espagne devrait investir davantage sur des secteurs comme les nouvelles technologies qui proposent des postes qualifiés et bien rémunérés », estime l’économiste catalan, déplorant que les dirigeants continuent de choisir la facilité de court terme à la stratégie de long terme. Un pari qui a pourtant tout récemment plongé le pays dans une profonde crise lors de la pandémie de Covid-19, en l’absence de touristes. Et nul besoin de le répéter : les mêmes causes produisent les mêmes effets.