L’extrême droite française en croisade contre l’immigration espagnole

marion marechal espagne

L’entrée de nombreux clandestins sur l’archipel des Canaries met en tension l’extrême droite française, mais aussi les indépendantistes catalans.

Photos : Flickr CC

« Je viens d’arriver sur l’île de Tenerife, désormais porte d’entrée de l’immigration clandestine africaine vers l’Europe. C’est ici que le gouvernement socialiste espagnol organise notre submersion. » C’est ainsi que la députée européenne Marion Maréchal a signalé sur le réseau social X son arrivée en Espagne. « Tenerife, le nouveau Lampedusa… » renchérit en commentaire Nicolas Chamoux, un temps candidat zemmouriste sur la circonscription des Français vivant en Espagne.

Pour la figure du mouvement nationaliste, le problème est double : non seulement, avec le Premier ministre Pedro Sanchez, les frontières sont poreuses, mais en plus, les clandestins vont bénéficier d’une régularisation massive, annoncée en grande pompe par le gouvernement de gauche.

La semaine dernière, en effet, le Conseil des ministres a présenté un texte pour faciliter l’obtention de papiers administratifs pour la main d’œuvre immigrée. Les délais pour l’obtention des titres de séjour seront accélérés avec moins de formalités, la durée du visa de recherche d’emploi va passer de trois mois à un an. La réforme pourrait aboutir à 300 000 régularisations chaque année d’ici 2027, par rapport à un peu plus de 200 000 dossiers en attente aujourd’hui. Il y a 250.000 offres d’emplois dans les secteurs en tension comme l’agriculture, la restauration ou le bâtiment.

Évidement, ce n’est pas la situation en tant que telle qui angoisse le plus Marion Maréchal. Mais le fait que cette politique provoque selon la députée « un appel d’air d’immigration, où les clandestins entrés par l’Espagne finiront par s’installer en France pour percevoir les aides sociales », croit savoir l’élue. Un petit mot anxiogène tout de même pour l’Espagne de la part de la petite-fille de Jean-Marie Le Pen: « votre futur [espagnol NDRL] sera notre présent [français NDRL] ». En ajoutant pour ceux qui n’avaient pas compris sa formule que l’Espagne « vivra le terrorisme islamique, la délinquance, et les agressions contre les femmes perpétrées par l’immigration de masse ». Face aux politiques de la gauche espagnole, Marion Maréchal a égrainé ses propres solutions : faciliter les retours, réformer le droit d’asile, et un blocus naval militaire coordonné en Méditerranée.

photo cc flickr Le nombre d'arrivées clandestines a bondi dans l'archipel des Canaries depuis l'année dernière et s'accélère encore depuis une semaine, mettant en alerte l'ensemble des responsables politiques espagnols. Le chef du gouvernement en a fait sa priorité de la rentrée. Il y a tout juste 30 ans aujourd'hui, la première patera (nom donné aux embarcations de fortune utilisées par les migrants) accostait aux Canaries, archipel espagnol situé à une centaine de kilomètres des côtes africaines. Sans le savoir, deux jeunes Sahraouis inauguraient le 28 août 1994 ce qui allait devenir l'une des routes migratoires les plus fréquentées du monde, mais aussi l'une des plus mortelles. Depuis, près de 230.000 migrants ont débarqué dans les Canaries, dont la moitié au cours des cinq dernières années. Pour les plus chanceux d'entre eux. Des milliers d'autres ont péri en mer, ballotés par de violentes vagues dans de modestes petites barques surchargées. Une crise que rien ne semble parvenir à enrayer, bien au contraire, avec une hausse de 66% par rapport à l'année dernière. L'archipel la destination de la route maritime qui a connu la plus forte croissance en 2024, selon l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex) qui, dans son dernier rapport, signale un changement dans les flux migratoires. Depuis le début de l'année, les traversées clandestines vers l'Italie ont été interrompues à hauteur de 65 %, tandis que les arrivées sur les côtes des  Canaries ont grimpé de 115 %. Mais surtout, les îles espagnoles observent une alarmante accélération depuis la semaine dernière, suite au durcissement du conflit malien. Près de 800 migrants sont arrivés au cours de la dernière semaine, dont de nombreux mineurs. Négociations avec les pays d'origine Le gouvernement régional des Canaries est débordé et les autres régions espagnoles, qui doivent ensuite accueillir les migrants selon un système national équitable de répartition, s'inquiètent. Tout juste rentrée de vacances, Pedro Sánchez est parti depuis hier pour rencontrer les autorités de Gambie, de Mauritanie et du Sénégal, principaux pays d'origine des immigrés clandestins. Objectif : trouver des accords, si ce n'est diplomatiques au moins financiers, pour les inciter à empêcher les départs. De son côté, le président des Canaries Fernando Clavijo en appelle à l'Union européenne « afin que les Canaries n’aient pas à supporter seule toute la pression migratoire de l’Europe », parce que ces migrants « arrivent en Europe, en Espagne, et pas seulement aux Canaries ». De fait, l'archipel est le point d'entrée pour un périple dont la destination finale est souvent la France ou l'Angleterre.

Les derniers chiffres du Ministère de l’Intérieur confirment une augmentation significative de l’arrivée de migrants en Espagne en 2024. Jusqu’au 15 novembre, 54 216 migrants sont arrivés dans le pays par voie maritime et terrestre, soit une hausse de 16 % par rapport à la même période en 2023. Parmi ces chiffres, les Canaries se sont consolidées comme la principale porte d’entrée dans le pays, avec 39 713 migrants enregistrés depuis le début de l’année, une augmentation de 23 % par rapport à l’année précédente.

Actuellement, l’archipel est considéré en état d’urgence, notamment sanitaire, et il est impossible pour un conseil régional de gérer un tel afflux de population. La solution du gouvernement espagnol est de redistribuer le nombre d’arrivants dans les différentes régions du pays. Les territoires dirigés par la droite ont trainé des pieds. Et les indépendantistes catalans de droite regroupés autour de Carles Puigdemont dénoncent une injustice : selon eux, la Catalogne a déjà trop d’immigrés pour en accueillir de nouveaux. Puigdemont a demandé au gouvernement espagnol de décentraliser les politiques migratoires, afin que la Catalogne puisse gérer elle-même qui elle souhaite accueillir. Comme Pedro Sanchez gouverne en minorité et qu’il a besoin des voix des députés puigdemontistes pour faire passer ses textes, singulièrement les budgets, il a donné son feu vert.

La Catalogne pourra-t-elle gérer son immigration ?

Dans les prochaines semaines, « ce n’est pas une priorité pour Pedro Sánchez » glisse à Equinox un haut fonctionnaire socialiste, une loi organique devra être approuvée par le Congrès des députés à la majorité qualifiée. Il s’agit de déléguer des compétences à la Generalitat conformément à l’article 150.2 de la Constitution, le même article qui avait permis le transfert des compétences en matière de circulation routière aux Mossos en 1997, en échange du soutien de la droite catalane au conservateur José María Aznar.

Reste à voir si ce transfert de compétences en matière d’immigration sera aussi complet qu’annoncé par Carles Puigdemont. La politique migratoire pourrait continuer de dépendre du gouvernement et la partie transférable en Catalogne concernerait uniquement la gestion et l’application de ces directives. Le camp Puigdemont espère que la Generalitat pourra décider du quota d’accueil en fonction du pourcentage de population et imposer le catalan pour l’octroi de permis de résidence et de travail.

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