Transformer sa terrasse en potager gagne du terrain à Barcelone

Entre défis logistiques, manque de soutien institutionnel et passion individuelle, l’agriculture urbaine à Barcelone illustre les promesses et les paradoxes d’un modèle en quête d’expansion.

Photo : Equinox

Dans une ville aussi dense que Barcelone, où les toits vides dominent et où les espaces verts restent rares, l’agriculture urbaine apparaît comme une solution innovante pour concilier production alimentaire, écologie et bien-être des citadins. Des toits transformés en potagers aux jardins partagés nichés dans les quartiers, cette pratique gagne progressivement du terrain. Pourtant, malgré un potentiel évident pour réduire les îlots de chaleur, gérer les eaux pluviales ou promouvoir une alimentation locale, le développement de ces initiatives reste limité.

Robert Strauss s’occupe de « The Farmer on the Roof », un projet privé sur un toit en escalier de différentes hauteurs dans une maison privée à Gràcia, de plus de 30 m2. « En 2012, lorsque ma famille et moi avons emménagé à Barcelone, j’ai découvert qu’il était presque impossible de jardiner en ville », nous explique-t-il. Ayant pratiqué le jardinage pendant près de 20 ans, sur des parcelles allant de 20 à 1 500 m², il se tourne naturellement vers les « huertos urbanos » gérés par la municipalité. Mais il constate rapidement qu’ils sont réservés aux personnes de 65 ans et plus. « À Gràcia, il n’y a qu’un ou deux huertos, et les parcelles, censées être redistribuées tous les cinq ans, ne le sont presque jamais », ajoute-t-il.

C’est lors d’une balade à Collserola que l’idée germe : « En regardant Barcelone et ses toits rouges plats, j’ai eu une révélation : l’espace pour cultiver se trouve sur les toits. » Peu après, il s’installe dans une maison dotée de terrasses et d’un toit partagé.

L’agriculture urbaine à Barcelone, un trésor inexploité

Si aujourd’hui, il privilégie les fèves pour enrichir son sol épuisé, en 12 ans, il a cultivé jusqu’à 200 variétés différentes de fruits et légumes. « Cette année, je prends une pause et cultive à petite échelle », confie-t-il, bien qu’il ait récolté 126 kg de produits cette année.

Pour Robert, le jardinage urbain pourrait transformer la qualité de vie, notamment des personnes âgées, en créant des lieux de rencontre en plein air. Mais il déplore le manque d’initiatives concrètes à Barcelone. « La ville a un potentiel énorme, mais très peu de toits sont développés pour cela. » Concernant l’impact environnemental, il reste réaliste : « Des projets isolés n’auront qu’un effet minimal. Pour avoir un impact significatif, il faudrait des initiatives à grande échelle soutenues par les autorités. »

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L’expérience de Joan Rieradevall i Pons abonde dans ce sens. Conseiller scientifique du groupe de recherche durable Sostenipra, il est également promoteur de la spin-off d’agriculture urbaine de l’Université autonome de Barcelone, Tectum Garden. S’il observe que le confinement dû au Covid-19 a incité de nombreux habitants à redécouvrir leurs toits, souvent inexploités, il estime que « 50% de la surface urbaine sont constitués de toits sous-utilisés ». Un potentiel qui reste encore largement inexploité, alors que les toits peuvent être utilisés pour l’énergie solaire, des potagers ou encore la récupération d’eau, créant ainsi « des opportunités incroyables pour une révolution à la fois environnementale et sociale ».

À travers Tectum Garden, Joan travaille sur une variété de projets. Il cite en exemple « des jardins thérapeutiques pour des institutions sociales, comme l’Institut Municipal des Personnes Handicapées de Barcelone, des jardins d’entreprises pour offrir des espaces de relaxation aux employés ou pour produire des aliments utilisés en cantine ». Il évoque également des collaborations avec des restaurants : « Dans un cas, les clients peuvent choisir une laitue fraîche directement sur le toit, à quelques mètres de leur assiette. »

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S’inspirer d’autres villes européennes

Cependant, il déplore les obstacles réglementaires à Barcelone. « Contrairement à des villes comme Berlin ou Rotterdam, où il est possible de vendre les produits cultivés en ville, les règlements de Barcelone, datant des années 1970, interdisent la vente de produits agricoles urbains », explique-t-il. Il s’indigne aussi du paradoxe : « Des produits chimiques toxiques peuvent être fabriqués et vendus en ville, mais pas des tomates cultivées sur un toit. »

Pour le chercheur, l’agriculture urbaine présente pourtant de nombreux avantages. Il explique qu’elle améliore le bien-être des habitants, réduit l’effet d’îlot de chaleur grâce aux toits végétalisés, limite les transports alimentaires, et diminue les déchets d’emballage et les pertes liées au stockage. « Les cultures locales favorisent aussi une alimentation plus respectueuse des saisons et de l’environnement », précise-t-il.

En regardant vers l’avenir, il espère que Barcelone adoptera une approche plus favorable. « À Rotterdam, par exemple, toute nouvelle construction ou rénovation doit inclure une initiative pour l’eau, l’énergie ou la nourriture sur le toit. À Barcelone, cela reste optionnel et dépend des autorisations », regrette-t-il. Il suggère également que la ville pourrait envisager des subventions similaires à celles accordées pour les panneaux solaires.

« Nous sommes optimistes et pensons qu’avec le soutien de l’administration et des citoyens, ces projets se développeront davantage dans les années à venir », conclut-il.

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