Après des semaines de tractations au sein du Parlement, le gouvernement espagnol a obtenu le feu vert des députés pour une réforme fiscale ambitieuse qui fait grimper brutalement les impôts en Espagne.
10,5 milliards d’euros par an, c’est ce que vont payer, en plus, les contribuables demeurant en Espagne. Le gouvernement socialiste de Pedro Sanchez sort la matraque fiscale pour les grandes entreprises, les hauts revenus et certains secteurs stratégiques. « Les citoyens nous en seront reconnaissants » croit savoir la ministre du Budget, María Jesús Montero.
Un nouvel impôt sur les banques et une taxe minimum sur les sociétés
Parmi les dispositions phares figure un impôt spécifique sur le secteur bancaire qui s’appliquera sur la marge d’intérêts et les commissions des établissements financiers. Comme souvent en matière fiscale, le provisoire s’installe, car cet impôt nouveau vient remplacer un prélèvement « exceptionnel » en vigueur depuis deux ans. Ce dispositif, étalé sur trois ans, concernera notamment les grandes banques comme la CaixaBank, la Santander et la BBVA, avec un taux pouvant atteindre 7 %. Les recettes générées seront redistribuées entre les régions espagnoles selon leur PIB, tandis que le Pays basque et la Navarre conserveront leur propre mode de gestion fiscale. Le secteur déplore la mesure qui se traduira par de graves effets sur les financements bancaires accordés aux familles et aux entreprises.
Le tabac et les vapoteuses vont voir leur prix grimper avec la fin d’avantages fiscaux encore en vigueur. L’impôt sur le revenu des classes les plus aisées va augmenter de 2%.
La réforme introduit également un impôt minimum de 15 % sur les sociétés, conformément à une directive européenne. Cette mesure devrait rapporter 2,6 milliards d’euros par an et garantir à l’Espagne l’accès à un cinquième versement des fonds européens, estimé à 7,2 milliards d’euros. Et permettra au passage au pays d’échapper à une sanction de Bruxelles.
Autre mesure notable : une série d’ajustements destinés à récupérer des sommes perdues à la suite de décisions judiciaires défavorables concernant des déductions fiscales. Ces revers juridiques avaient contraint l’État à rembourser d’importants montants à des entreprises de l’Ibex 35 et à des particuliers. Selon le ministère des Finances, ces ajustements devraient permettre de récupérer près de 5 milliards d’euros par an.
Grandes manœuvres
Pour faire sa grande saignée, le gouvernement, sans majorité parlementaire stable, a dû négocier avec les différents groupes politiques, chacun agissant selon sa logique propre et ses intérêts particuliers. L’exécutif a pu compter sur ses députés socialistes et de la gauche radicale Sumar. L’extrême-gauche basque de Bildu et la gauche indépendantiste catalane, jamais frileuses sur les hausses d’impôts, ont apporté leur soutien enthousiaste. Les éternels négociateurs régionalistes basques (PNV) ont fait adopter leur propre amendement visant à lutter contre la fraude à la TVA dans le secteur des hydrocarbures. Cette mesure devrait accroître les recettes publiques de 1,5 milliard d’euros par an.
Les plus difficiles à convaincre furent les indépendantistes catalans du parti de Carles Puigdemont (Junts). Depuis l’échec de la sécession, ce courant revient à ses origines : libéralisme et défense des entreprises. Difficile de faire monter ces députés dans la galère de la hausse fiscale. Cependant, les parlementaires de Junts ont accepté de voter les hausses avec la main gauche pendant que la droite a réussi à obtenir des niches fiscales pour baisser la pression sur les microentreprises, les coopératives et les associations sportives à but non lucratif.
Des mesures rejetées
Si le gouvernement est parvenu à un consensus sur plusieurs points, certaines propositions partent à la corbeille. La tentative d’aligner la taxation du diesel sur celle de l’essence, susceptible de générer 1 milliard d’euros par an, a été bloquée par la gauche radicale de Podemos. La réforme de la fiscalité des sociétés immobilières cotées, qui aurait pu provoquer le départ d’acteurs comme Merlin et Colonial, a également été rejetée. D’autres mesures, telles que la hausse de la fiscalité des mutuelles d’assurance, l’application d’un taux de TVA de 21 % sur les locations touristiques ou encore l’introduction d’un impôt sur les produits de luxe, n’ont pas obtenu les votes nécessaires.
Malgré ces tensions, le président du gouvernement, Pedro Sánchez, a salué l’adoption d’une réforme « essentielle pour renforcer les services publics, notamment dans le contexte des catastrophes naturelles récentes », en référence aux inondations meurtrières dans la région de Valence. Selon lui, cette réforme permettra également à l’Espagne de maintenir sa position de leader dans l’utilisation des fonds européens, tout en affichant une croissance économique estimée à 3,4 % du PIB, soit le double de la moyenne des pays développés.
Enfin, au-delà du satisfecit de Pedro Sanchez, l’Espagne n’a pas pu voter de budget pour l’année 2024, faute de majorité stable. Contrairement à la France, la Moncloa ne dispose pas d’un article de type 49-3 pour faire passer un texte de force. En l’espèce, le pays continue avec les budgets de l’année précédente sans pouvoir les actualiser et les ajuster aux besoins du moment. Arrivent les comptes de 2025, en janvier. Encore un chemin de nids de poule pour le gouvernement. Les négociations autour de la réforme fiscale ont exacerbé les tensions au sein de la coalition, laissant présager de nouvelles batailles législatives pour la nouvelle année.