Les cultures allemandes et espagnoles sont deux des plus éloignées du continent européen et pourtant, Barcelone semble s’être amourachée des spécialités germaniques. Comment est-ce possible ? Enquête entre saucisses et houblon.
Photo de couverture : Time Out
« Frankfurt » en lettres gothiques à tous les coins de rue, des bratwurst et de la bière blonde en choppe, que c’est beau l’Allemagne… Mais non, ce n’est pas l’Allemagne, c’est Barcelone.
Qui a parcouru les avenues de la capitale catalane s’en est forcément rendu compte : le nombre de frankfurt – qui ici désigne le bar et non pas la saucisse – est impressionnant. Et le frankfurt – qui veut aussi dire le hot-dog – est un peu l’équivalent du bikini national. En Catalogne, dire « on se retrouve au frankfurt ? » est une question habituelle. Cela signifie que le rendez-vous est donné dans un de ces bars de spécialités allemandes dont la ville regorge.
Et là où habituellement les menus proposent tapas, bocadillos et paellas, les frankfurts offrent des variétés de hot-dogs avec des saucisses, des sauces et des condiments différents. On y retrouve aussi bien sûr une large gamme de bières blondes.
Pour comprendre pourquoi la gastronomie allemande s’est installée ici, il faut remonter en 1912, quand le maître charcutier Max Zander s’installe à Barcelone. Tout droit venu d’Allemagne, il importe en Espagne son savoir-faire et surtout la tradition des saucisses allemandes, les bratwurst, que ceux de son pays aiment à glisser dans un pain brioché. Au départ, Max n’a comme clients que les Allemands venus s’installer à Barcelone, mais petit à petit son commerce se popularise.
C’est alors que dans les années 1950 la famille espagnole Vallès-Roman lui achète les saucisses, les met dans ces petites pains à la mode de Francfort et les vend dans les foires de rue, puis le long de la côte du Maresme pendant les mois d’été. En 1968, le premier restaurant Casa Vallès ouvre à Terrassa. Depuis, les restaurants Casa Vallès se sont multipliés et la famille en possède 7, répartis entre Barcelone, Terrassa et Badalona.
Avec l’influence croissante des Etats-Unis sur la culture populaire espagnole, qui diffuse aussi son amour du hot-dog, le frankfurt se démocratise et tous les Barcelonais s’y mettent. Ajoutons à cela la passion dévorante (sans mauvais jeu de mots) des Espagnols pour tous types de sandwichs – il suffit d’aller voir n’importe quel menu de restaurant pour constater que l’offre est démesurée – et le frankfurt est quasiment devenu un plat, si ce n’est national, au moins typiquement barcelonais.
Photo : Equinox
La bière barcelonaise vient d’Alsace
Mais que serait un frankfurt sans une bière pour hydrater le tout ? Et là encore, Barcelone s’est tournée vers l’Allemagne, ou plutôt l’inverse, puisque ce sont les Alsaciens qui se sont tournés vers la cité comtale en y fondant deux brasseries devenues historiques en Catalogne : Moritz et Damm.
En 1830, Louis Moritz, père de la bière éponyme, voit le jour à Pfaffenhoffen, en Alsace. Près de deux décennies plus tard, il s’installe à Barcelone et ouvre la première brasserie moderne dans le Raval : la bière Moritz est née. En 1888, l’Alsacien gagne la médaille d’or de l’exposition universelle de Barcelone, et la suite, on la connait.
L’histoire de la bière Damm est assez similaire. August Kuentzmann Damm nait en 1843 à Sélestat, en Alsace, et s’exile à Barcelone pour fuir la guerre franco-prusse. C’est en 1876 qu’il lance avec son cousin Joseph son entreprise de bières, juste avant de mourir. Aujourd’hui, l’entreprise est présente dans plus d’une centaine de pays, et était l’année passée le deuxième groupe en termes de production au litre en Espagne.
Alors même si de prime abord l’Espagne et l’Allemagne n’ont pas grand-chose en commun, la présence de tant de marques germaniques à Barcelone note d’une certaine similarité gastronomique. Il y a, à n’en pas douter, la même passion pour la viande, le sandwich, et surtout la bière. Prost !