Édito par Lucille Souron, journaliste au sein de la rédaction d’Equinox.
Agnès Varda disait « si on ouvrait les gens, on trouverait des paysages ». C’est à l’occasion de la formidable exposition qui lui est consacrée au CCCB jusqu’au 8 décembre que cette phrase m’a frappée, et que je me suis interrogée.
La cinéaste disait qu’en elle, il y avait des plages. Et moi, alors ? À bien y réfléchir, pas de sites naturels ou de paysage de carte postale, mais un environnement urbain : les terrasses. Celles de cafés et de bars, que j’arpentais à Paris et à Nantes et que je parcours aujourd’hui à Barcelone.
Les terrasses, c’est un paysage merveilleux, simplement car c’est le théâtre de la vie. On y aime, on y rompt, on s’y confie, on s’y engueule, on s’y retrouve, on s’y sépare, on y boit, on y mange, on y chante, on y pleure et on y rit. La terrasse, comme la plage de Varda sur laquelle le ressac est incessant, voit défiler entre ses tables collantes et ses chaises jamais vraiment nettoyées un flot ininterrompu d’individus.
Et en ce mois de septembre que d’aucuns trouveront terrible – rentrée oblige – je crois qu’il est nécessaire de rappeler que même au plus profond du désespoir, les terrasses sont là. Et que tant qu’elles sont là, qu’il y a un peu de soleil et de la bonne compagnie, c’est encore un peu les vacances. Elles permettent un moment de répit, un café à 1,50 euros ou un vermouth rafraichissant.
Elles nous autorisent comme aucun autre endroit à fixer les gens qui passent, à respirer, à discuter ou justement à garder le silence en écoutant les conversations des autres. Les terrasses permettent les rencontres. Celles avec les papis espagnols accoudés au zinc du comptoir, qui parlent catalan très vite alors on ne comprend pas tout mais on hoche la tête bien gentiment. Celles-ci sont importantes.
À Barcelone, les terrasses ont une spécificité : elles sont immortelles. Pas de mois de novembre glacial qui fait se rapatrier à l’intérieur des pubs, pas d’éternelle guerre avec les fumeurs qui veulent à tout prix rester dehors même à -2 degrés. Grâce à la météo clémente, pendant des mois, toute l’année même si l’on est courageux, on peut s’asseoir dehors pour regarder les autres, ou comme c’est mon cas, regarder à l’intérieur de soi.