À quelques jours des fêtes de Gràcia, la fièvre monte dans le quartier. Les habitants, déjà affairés depuis de longs mois à confectionner les décorations, nous ont confié leur impatience à voir leurs créations prendre vie.
Dans la carrer Llibertat, les infrastructures étaient déjà visibles le week-end précédant les fêtes de Gràcia. (Photo de couverture : Sonia Romero Ruiz)
Des mois de préparation, des nuits blanches et des centaines de mains : les habitants de Gràcia étaient à pied d’œuvre, le week-end dernier, pour transformer leur quartier en un véritable tableau vivant, pour la célébrissime Festa Major. Chaque année, c’est la même histoire : les rues de Gràcia se métamorphosent en œuvres d’art éphémères. Un savoir-faire transmis de génération en génération qui unit les habitants autour d’un projet commun.
Tous sont bénévoles et utilisent leur temps libre pour préparer la plus importante semaine de l’année pour leur quartier. Lina Lopez, présidente de la fondation Festa Major de Gràcia, n’a ainsi plus une minute pour elle depuis le début de l’année. Ses journées sont rythmées de nombreuses réunions, incontournables pour obtenir les subventions nécessaires aux préparatifs. Des réunions qu’elle doit évidemment concilier avec son emploi « normal », à temps plein.
« Depuis la fondation, nous, ce que nous faisons, c’est gérer les subventions publiques, redistribuer cet argent que l’on reçoit aux 23 commissions de Gràcia (qui correspondent aux 23 rues et places qui se transforment, NDLR). Et en plus de ça, nous gérons un cycle annuel d’activités », nous explique-t-elle. « Parce que les gens nous connaissent pour la Festa Major, mais en réalité, nous gérons tout le cycle annuel de la Vila de Gràcia. Commençant par le cycle de Noël et terminant avec la Festa Major. C’est-à-dire que chaque mois, nous avons une activité représentative que nous devons organiser ensemble avec les commissions. »
Un travail de (très) longue haleine, et pratiquement invisible pour les visiteurs des fêtes de Gràcia. « Ça implique de parler avec les services de sécurité, les licences d’occupation de la voie publique, la distribution de l’argent pour que tous puissent avoir l’argent équitablement, la recherche de sponsors… », déclare Lina, regrettant, en contraste, l’incivilité de certains visiteurs des fêtes.
Des amateurs qui créent des décorations à couper le souffle
Cette année, comme tous les ans, les thèmes sont aussi variés que créatifs. De l’univers marin aux jeux vidéo, les habitants ont imaginé des décors époustouflants qui promettent de nous transporter. Pour la Carrer Lluis Vives, la rue d’Audrey, Française qui vit à Gracia depuis 15 ans, les riverains ont voté (en novembre, déjà) pour un thème sur le blanchiment des récifs de coraux sous l’effet du réchauffement climatique. Ils ont donc dû confectionner des dizaines de panneaux colorées, réalisés à partir de bouteilles écrasées, mais aussi d’énormes colonnes de coraux plus vrais que nature, une tortue et des poissons géants, des méduses de toutes les couleurs… Le tout confectionné à partir d’éléments récupérés par-ci par-là au cours des mois précédant les fêtes.
Des collaborateurs participent à la décoration des panneaux dans la Carrer Lluis Vives. (Photo : Sonia Romero Ruiz)
« Dans les rues, il y a peut-être des gens qui ont des connaissances en design, en décoration, mais en réalité, nous sommes des gens qui ne nous dédions pas à ça, des gens communs et ordinaires, qui développons au maximum la créativité pour réaliser des décorations spectaculaires. La plupart des gens n’ont pas touché un pinceau de leur vie », nous confie Audrey. De nombreuses rues se retrouvent dans des locaux prêtés par la vie pour confectionner leurs décorations, tandis que d’autres travaillent à même la rue, dans les derniers jours des préparatifs, ou louent elles-mêmes, à leurs frais, un local dédié.
Des coraux, des méduses en un hippocampe confectionnés pour la rue Lluis Vives. (Photo : Sonia Romero Ruiz)
Eli s’affaire sur une tortue qui sera exposée dans la Carrer Lluis Vives. (Photo : Sonia Romero Ruiz)
Le hasard veut que dans le local face à celui de la rue Lluis Vives, la rue Tordera a aussi choisi un thème de la mer, avec une tortue XXL. (Photo : Sonia Romero Ruiz)
La Carrer Lluis Vives possède toutefois deux atouts de taille : Audrey crée déjà des décorations pour son emploi au quotidien, un véritable travail d’orfèvre pour des marques de luxe, tandis qu’Eli est illustratrice. Heureusement que cette rue peut compter sur ces deux as, car il s’agit de l’une des plus petites rues de Gràcia, qui ne compte que 10 collaborateurs. Alors que toutes les rues doivent réaliser un minimum de 50 mètres de décoration. Autant dire que toute aide est la bienvenue.
« C’est vrai que dans les grandes rues, comme Verdi ou Progrès, quand il y a beaucoup de volontaires, c’est plus facile, parce que si l’un ne peut pas venir, c’est l’autre qui vient l’aider, avec ses amis, son copain, sa tante, sa grand-mère… », indique Audrey. « Parce qu’il y a quelque chose de très important dans la Festa Major, c’est que des gens comme les grands-mères se réunissent toute l’année pour fabriquer des petites choses. C’est génial, parce qu’ils ont une vie de quartier très importante, et les plus âgés, qui sont seuls chez eux, se rejoignent. C’est aussi une manière de combattre la solitude qui n’est pas désirée. Tous les âges se mélangent et c’est une fête pour tous. »
L’esprit de communauté des fêtes de Gràcia
Plus qu’une simple fête de quartier, la Festa Major de Gràcia est un véritable événement culturel qui attire des milliers de visiteurs chaque année. Les habitants, quant à eux, attendent avec impatience de partager leur passion avec le monde entier. « Nous voulons valoriser l’orgueil, l’amour que l’on ressent pour le quartier, les fêtes et les envies de faire la communauté. C’est ce qui aide aussi à vraiment connaître les voisins, à établir de nouvelles amitiés. C’est le prix que tu as à gagner, la valeur fondamentale des grandes fêtes. Et chaque année, tu connais encore plus de gens », s’enthousiasme Lina.
Une théorie vérifiée et confirmée par Ana, expatriée française à Gràcia depuis tout juste un an, qui participe aux décorations de la Plaça de Rovira i Trias. On s’y affaire d’arrache-pied pour monter une… chapelle, afin de pouvoir « marier » les visiteurs, style Las Vegas. En pleine confection de rameaux de fleurs artificielles, Ana nous raconte qu’elle a été véritablement accueillie par la famille de son quartier, malgré le fait que la majorité d’entre eux sont Catalans et plutôt fermés aux étrangers, a fortiori aux Français.
« L’année dernière, je passais par là et j’ai vu qu’ils étaient en train de travailler, j’ai participé en tant que collaboratrice plutôt et je fais partie maintenant des socios. On se rejoint à peu près toutes les semaines, une fois, pour manger, pour se rencontrer, etc. Et là, depuis un mois et demi, on se rejoint beaucoup plus, on vient à la place pour faire les décorations ici », nous explique-t-elle. « Je me suis incluse dans le groupe, petit à petit, ils m’ont accueillie à bras ouverts, et ça m’a permis de pratiquer mon espagnol. C’est devenu une famille. »
L’infrastructure de la chapelle non achevée qui sera exposée sur la Plaça Rovira i Trias. (Photo : Sonia Romero Ruiz)
Avec le point d’orgue : le jour de la remise des prix, attendu de pied ferme par les participants. « Il y a de la compétition, parce que nous voulons tous savoir où nous sommes dans le classement pour pouvoir nous améliorer, ou voir en quoi on a fait des erreurs. Et quand c’est le jour des prix, qui est le jour le plus important pour les fêtes, les gens crient ‘tongo’ dans toutes les rues. C’est un peu la blague », sourit Audrey. Une façon de conclure de nombreux mois de durs labeurs, qui se sont sans aucun doute terminés par une nuit blanche, ce jeudi, pour finaliser les décorations jusqu’à la dernière minute. Allez, lever de rideau et place à la fête !
Ce tableau avec un énorme cœur sera exposé dans la « Wedding chapel » de la Plaça Rovira i Trias. (Photo : Sonia Romero Ruiz)