Les plages de sable fin en Catalogne aux allures féériques sont légion, par exemple, El Castells (Palamos) ,Cala Aiguablava (Begur),Cala Jovera (Tamarit). D’autres, en revanche, comme la plage platja de Pi de Portbou sont composées uniquement de galets. On vous explique le processus à l’origine de ces deux types de plages.
On parle de dépôt sédimentaire. Qui correspond au transport d’éléments provenant de l’altération des roches sur le continent, et de leur sédimentation dans un milieu propice, ici le bord de mer. Qu’il s’agisse de sable ou de galet, ils correspondent à des sédiments dont la granulométrie diffère.
Des témoins du mode de transport et du milieu de dépôt
Dans certaines conditions favorables, il est possible d’observer des dépôts de plages fossilisés dont la succession verticale des couches permet alors de saisir la variation des conditions de dépôt au cours du temps.De cette manière, on déduit alors qu’un même milieu, sur quelques dizaines de milliers d’années, a pu présenter successivement des paysages très changeants, passant de la plage de sable à la plage de galets, voire à un pied de falaise peu accueillant. Le dépôt est donc sous le contrôle d’un ou plusieurs paramètres évolutifs.
El Castell (Palamos)
De plus près, ces sédiments recèlent de nombreux indices renseignant sur leur origine, ainsi que sur leur transport. Alors qu’un dépôt de petits galets émoussés évoque un transport long favorable à leur fragmentation et leur polissage, un dépôt de blocs peu émoussés indiquera une fabrique avec peu de transport.Ce constat souligne la nécessaire question du mode de transport. Au cours d’un effondrement, un bloc issu de la fragmentation d’une falaise se trouve aisément déplacé à quelques centaines de mètres de sa source, fonction de la pente rencontrée sur son trajet.
Mais comment alors comprendre les dépôts loin de la source ? L’observation des processus actuels nous renseigne alors sur l’origine des dépôts anciens. Les cours d’eau sont les vecteurs de transport des fragments rocheux qui s’altèrent à plus ou moins longue distance des bandes littorales.C’est la fameuse érosion. Les temps de transport ont été étudiés et concernent une période allant d’un simple épisode de crue (transport massif à longue distance) à plusieurs dizaines de milliers d’années.
Une fois le transport accompli, les fragments se déposent dans un milieu suffisamment calme pour que ces derniers ne subissent plus de déplacement conséquent. Les lieux calmes seront propices aux dépôts, et plus les milieux seront calmes, plus les fragments fins pourront s’y décanter, constituant alors les paysages typiques des baies et des anses.
Cala Aiguablava (Begur)
À l’inverse, les fronts de mer où la houle est puissante ne constituent pas de bons milieux de dépôt. La sédimentation y est instable et le trait de côte correspond à de la roche dénudée, soumise aux assauts incessants des vagues de haute énergie. C’est un paysage récurrent des caps ou du front des îles dans le vent.
Tout est donc une question d’énergie mécanique mise en jeu dans la circulation de l’eau à la surface de la Terre. Lorsqu’elle s’écoule depuis sa source jusqu’à l’embouchure, l’eau perd de l’énergie potentielle en partie convertie en énergie cinétique. Loin en amont, le cours d’eau adopte un profil de pente conséquent, l’énergie en jeu y est alors forte et mobilise les fragments les plus massifs. En aval, le cours d’eau s’élargit et les pentes s’adoucissent. L’eau perd de son énergie. Les gros fragments se déposent dans le lit, et seuls restent mobiles les fragments de taille plus modérée… et ainsi de suite. En bout de course, on constate alors le long des cours d’eau, le résultat d’un classement des fragments.
Ce classement est complet dès lors que le lit du cours d’eau traverse de basses vallées dont la topographie est marquée par une très faible pente. Le développement total du cours d’eau est également souvent un bon indicateur du classement. Bien développé, le classement ne laisse plus que le sable parvenir à l’embouchure.
Cala Jovera (Tamarit)
Le sable apparaît sur les plages dès lors que les produits grossiers d’érosion se sont déposés sur le continent dans le lit des fleuves. Lorsque ce n’est pas le cas, ces gros éléments participent à la sédimentation du bord de mer. À ce stade, précisons que les plages de galets ne sont pas de beaux dépôts homogènes, mais qu’ils sont le résultat d’un mélange.
Cela présuppose donc que les cours d’eau charrient des fragments grossiers de type « galet », mais qu’ils emportent également une fraction de granulométrie plus fine donnant les sables. Dans les faits, les cours d’eau transportent les fragments des roches constitutives de leur bassin versant. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que toutes les roches n’adoptent pas le même comportement face à l’eau.
En tant qu’agent d’altération, l’eau est un solvant. Ainsi, pénétrant dans les fractures de la roche, elle modifie peu à peu la chimie des minéraux, en remettant en solution une partie des atomes constitutifs sous forme d’ions, ou en prenant part à leur composition. En tant qu’agent physique, les variations volumiques de l’eau, sous le contrôle de sa température, accomplissent également un véritable tour de force dans les fractures qu’elles agrandissent peu à peu. En substance, il faut donc retenir que l’eau est un corps simple aux propriétés complexes, qui fracture et modifie la composition des roches sur lesquelles elle s’écoule et dans lesquelles elle s’infiltre.
Un seul minéral résiste inlassablement aux assauts de l’eau, c’est le quartz. Il en résulte que toute roche possédant des cristaux de quartz (granite, grès…) sera soumise à la fragmentation, mais qu’elle produira en toute fin un dépôt fin de grains rendus indépendants, le sable.
L’impact du climat
Les plages sont donc la conséquence des dépôts des produits de l’érosion des roches continentales. Emportés par les cours d’eau, les fragments, dont la nature et la granulométrie sont liées à la géologie régionale, sont triés par ordre de taille, en fonction du profil du cours d’eau. Les produits arrivés en mer se déposeront alors sur les traits de côte en fonction de l’énergie locale mise en jeu par les vagues et courants marins. Au regard de l’ensemble des processus dynamiques en jeu, on comprend mieux qu’un tel dépôt puisse évoluer dans des temps géologiques courts, de l’ordre du millier d’années.
L’histoire des plages est donc sous le contrôle essentiel de l’eau. Il paraît opportun de questionner l’impact des paramètres contrôlant le cycle de l’eau sur la répartition des plages. En 2018, une équipe de chercheurs néerlandais travaillant sur un outil de traitement de l’imagerie satellitaire a proposé une synthèse mondiale des traits de côte occupés par des plages de sable.
Platja del Pi (PortBou)
La latitude du lieu apparaît alors comme un paramètre discriminant, en d’autres termes, les climats ont un rôle prépondérant dans la distribution des plages de sable. À cela, rien d’étonnant, à condition d’avoir bien assimilé que les conditions du transport par l’eau décident de la nature des plages en aval. Soumise à des précipitations continues et abondantes, la zone de convergence intertropicale présente un profil de relief très adouci, disloqué par l’érosion intense. Les pentes y sont faibles et le classement des fragments transportés maximal, de sorte que le sable se dépose bien avant le bord du continent. En bord de mer, les plages concentrent donc des fragments encore plus fins, les argiles, constituant le sol des mangroves. Sous nos latitudes et dans les zones tropicales, l’intensité de l’érosion est moindre, les plages de sable s’y concentrent. Quant aux dépôts de galets, ils sont finalement le fruit de contextes très locaux. De quoi évoquer en pointillés l’éventuel impact du dérèglement climatique sur la distribution des plages de sable.
Par Fabrice Jouffray, Docteur en Géosciences, Université Côte d’Azur
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.