Immigré ou expatrié, quel mot pour désigner les Français de Barcelone ?

Les Français de Barcelone se définissent comme des expats. Mais qu’est-ce que ce mot signifie réellement ? Et quelle est la différence avec un migrant ? Enquête sur un phénomène étymologique, géographique et social.

Photo de couverture : Cyane Morel

Les 2 millions de ressortissants français établis dans le monde sont-ils des expatriés ou des immigrés ? Pourquoi, dans l’imaginaire commun, le Français installé en Espagne sera-t-il facilement qualifié d’expat tandis qu’on appellera le Somalien un immigré ? Relent de racisme, traces d’un colonialisme latent ou simple abus de langage ?

Dans une tribune choc « Pourquoi les blancs sont-ils des expats quand le reste d’entre nous sommes des immigrés ? » publiée en 2015 dans le journal anglais The Guardian, le journaliste Mawuna Remarque Koutonin soulignait l’existence d’un double standard : « Les Africains sont des immigrés. Les Arabes sont des immigrés. Les Asiatiques sont des immigrés. Pourtant, les Européens sont des expats parce qu’ils ne peuvent pas être au même niveau que les autres ethnies. Ils sont supérieurs. Immigrés est une façon de dire “races inférieures”».

Au niveau mondial, la base lexicologique de l’ONU ne répertorie pas le mot expatrié, mais regroupe sous le terme de migrant (immigré encore en déplacement) : « toute personne qui quitte son lieu de résidence habituelle pour s’établir à titre temporaire ou permanent et pour diverses raisons, soit dans une autre région à l’intérieur d’un même pays, soit dans un autre pays. Il englobe les travailleurs migrants ; les migrants objets d’un trafic illicite ; ainsi que les formes de déplacement pas expressément définies par le droit international, comme les étudiants internationaux ». Selon l’organisme, nous serions donc toutes et tous des migrants.

D’où vient, alors, le mot « expatrié » ? Il semble qu’il ait émergé d’abord d’un imaginaire commun qui s’est forgé dans les années 1920, nous explique Sylvain Beck, enseignant-chercheur à Nanterre, spécialiste des questions migratoires du point de vue des Français de l’étranger. On appelle alors expatrié le fonctionnaire, l’ambassadeur qui va s’établir en Indochine ou en Algérie Française. On veut, à l’époque, garder un lien étymologique avec la nation, la mère patrie. On popularise alors le mot expatrié (du grec exo qui signifie en-dehors et patrida qui signifie patrie) pour inventer cette nouvelle catégorie de travailleurs.

« On a l’idée que l’expat a une connotation positive et le migrant une négative »

Au fil du temps, le statut d’expat a complètement changé et la majorité des Français qui s’expatrie le fait aujourd’hui sans aucun rapport avec le fonctionnariat. Digital nomads, étudiants Erasmus restés pour vivre dans le pays d’accueil… Tous les profils sont représentés. De la même manière, avec les guerres de plus en plus intenses aux quatre coins du globe, on a tendance à mélanger migrants, réfugiés et demandeurs d’asiles, continue l’expert. Des définitions en mouvance complète tandis que, toujours, l’imaginaire se pare d’une double lecture et qu’on continue à faire la différence entre expatrié et migrant. Une séparation qui a aussi à voir avec la notion de liberté.

Pour le professeur Beck, là où l’expatrié jouit en arrivant dans son pays d’accueil d’une liberté totale – celle de s’intégrer ou non – le migrant n’a pas le choix, il doit s’intégrer coûte que coûte. Et c’est effectivement une classification colonialiste qui laisse le « riche », le « privilégié » reproduire son mode de vie partout où il va tandis que celui qui vient de pays moins développés sera fustigé s’il n’adopte pas les codes de son nouveau pays. Faut-il pour autant complètement arrêter d’utiliser le mot expatrié ? « Dans ma recherche, explique le professeur, j’ai choisi de garder le mot expatrié. Pour mieux le déconstruire, il faut l’utiliser et lui redonner sa complexité. L’important, c’est d’expliquer les mots qu’on emploie et de conscientiser l’idée qu’il y a une connotation derrière leur utilisation ».

Une connotation que même internet a enregistré, remarque Sylvain Beck :

« Quand vous tapez « expatrié » et « migrant » sur Google images, il y a une vraie différence. Les expats sont des hommes et femmes majoritairement blancs, en costume, tandis que lorsqu’on tape migrant, on trouve des personnes noires, manifestement pauvres, dans un bateau de fortune. Les images véhiculées sont clairement différenciées, avec l’idée que l’expat a une connotation positive et le migrant une négative ».

Le travail de déconstruction s’avère donc long et fastidieux et il appartient à tous et toutes de l’entreprendre, pour que même internet ne catégorise pas ainsi migrant et expatrié. Il y a autant de façons de s’identifier que de manières de vivre son expérience à l’étranger, et sur les 18 000 Français inscrits au registre de la mairie de Barcelone, il est certain qu’aucun ne se définit par le même mot. Et c’est tant mieux.

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