Chasse sur les réseaux sociaux, traquage aérien et relevés de comptes bancaires, le gouvernement déploie depuis 2023 des mesures inédites pour coincer ceux qui profitent des aides sociales depuis l’étranger, et notamment depuis l’Espagne.
Photo de couverture : Clémentine Laurent
Il est certainement vrai, comme disait Aznavour, que « la misère est moins pénible au soleil ». Ils sont ainsi des milliers de français – le chiffre est inestimable – à percevoir leurs allocations ailleurs que dans l’hexagone, parfois en Espagne, à l’ombre d’un palmier de la Barceloneta ou de Sitges. Sans que rien de tout cela ne soit légal, bien entendu.
En mai 2023, l’ancien ministre chargé du budget Gabriel Attal publiait sa feuille de route pour renforcer les systèmes de répression des fraudes, en rappelant que « frauder, c’est voler ». Un vol conséquent pour les caisses de l’état : en 2022, on estimait à 351 millions d’euros la fraude aux prestations sociales (RSA, Caf…). Un chiffre ahurissant dû en partie à ceux qui s’exportent à l’étranger tout en continuant de toucher les aides françaises.
« J’ai joué, j’ai perdu »
Loin des yeux, loin des lois ? C’est en tout cas ce qu’a cru Théotime, 25 ans aujourd’hui et lyonnais d’origine. Animé par un désir de voyage et au bord du burn-out, il démissionne de son entreprise parisienne en janvier 2023. Il envisage alors de partir en voyage pendant 6 mois tout en touchant l’ARE (aide au retour à l’emploi) : « Je savais que c’était interdit de percevoir le chômage hors de France, mais j’ai croisé tellement de gens qui m’ont dit de pas m’inquiéter… 80% des gens que tu rencontres en voyage touchent le chômage ».
Un sentiment d’impunité exacerbé par les témoignages d’autres fraudeurs, qui l’ont conduit à faire la même chose. Lors des rendez-vous mensuels obligatoires, le backpacker explique à sa conseillère France Travail (ex Pôle-Emploi) qu’il est à Paris et cherche bel et bien du travail dans le graphisme, alors qu’il fait en réalité le tour de l’Asie. Une aventure financée par l’état à hauteur de 1 100 euros par mois. À la fin de l’été 2023, mû par le désir de travailler – pour de vrai, cette fois – et de retrouver une vie « normale », il décide de s’installer à Barcelone pour commencer une activité de graphiste en freelance, toujours en comptant sur l’allocation chômage. C’est à ce moment-là que Théotime commet l’erreur qui va lui coûter cher :
« Durant ma première semaine ici, je suis allé voir une compétition de skate, et moi qui était en mode privé sur Instagram pendant mon voyage, je repasse en public. Je ne sais pas pourquoi, je me dis que j’ai plus rien à cacher, et je poste une story de cette compétition ».
Photo : Equinox
Le soir venu, le jeune homme réalise que parmi les utilisateurs qui ont visionné son contenu, un nom lui parait familier : c’est celui de sa conseillère France Travail. Il comprend alors qu’elle a forcément vu ses autres publications, des compilations de vidéos de ses voyages antérieurs intitulés « Cambodge » ou « Vietnam » et toutes datées d’il y a deux, trois semaines ou plus. Quelques semaines plus tard, il reçoit un mail de France Travail lui demandant de justifier ses voyages :
« Je ne pouvais même pas mentir parce qu’ils avaient mes relevés bancaires des deux dernières années. J’ai écrit un long texte pour expliquer ma situation. Je savais qu’il y avait des risques et que je n’avais pas le droit, donc j’en assume les conséquences. J’ai joué, j’ai perdu ».
Des conséquences qui lui coûtent cher, puisqu’il doit au gouvernement environ 7000 euros, soit l’équivalent de six mois d’allocations qu’il rembourse mensuellement par virement de 500 euros.
De nouvelles méthodes efficaces pour détecter la fraude
Théotime a été victime de ce que le bureau des finances appelle le webscrapping. Il s’agit tout simplement d’aller vérifier sur les réseaux sociaux que la personne bénéficiant des aides réside bel et bien en France. Une mesure choc, peu utilisée auparavant et qui devient la norme au sein de la répression des fraudes, au même titre qu’une multitude de nouvelles techniques statuées ou renforcées par le texte de mai 2023.
Ce plan de lutte explicite par exemple l’utilisation d’un autre outil jusqu’ici réservé à la fraude organisée : le Passenger Names Record. Le PNR est une application prévue par la loi européenne qui regroupe les données des personnes voyageant par transport aérien. Sa mission, d’abord à destination des organisations terroristes, s’étend depuis le texte de Gabriel Attal aux dossiers individuels. En outre, Théotime a aussi fait l’objet d’une récupération de ses données bancaires, une autre de ces vérifications qu’il estime en plein développement :
« Je sais qu’aujourd’hui France Travail a renforcé sa surveillance des réseaux sociaux. J’ai une amie à qui c’est arrivé il y a deux semaines. Elle était partie en voyage sous couvert de travailler en freelance et elle doit maintenant rembourser 10 000 euros. Mais il y a aussi des contre-exemples : une fille de mon travail continue à toucher le chômage en France tout en percevant un salaire ici ».
C’est certain, la fraude aux allocations devient de plus en plus dangereuse à mesure que les outils de surveillance s’affinent. Cependant, il est clair que de nombreuses personnes passent encore sous le radar, notamment en Espagne. Interrogé sur le sujet, le consulat de Barcelone dit n’avoir aucun chiffre sur ces fraudeurs.