Ce jeudi 16 mai, c’est le grand retour de la tauromachie à Barcelone, qui n’avait pas accueilli un tel évènement depuis 2011. Vraie renaissance ou sursaut d’une culture traditionnelle en voie de disparition ?
Photo de couverture : Equinox
C’est un temps que les moins de 13 ans ne peuvent pas connaître. Alors que la dernière corrida de Barcelone avait lieu le 25 septembre 2011, ce jeudi 16 mai 2024, les arènes de la Monumental rouvrent leurs portes à la tradition taurine. Financé par le groupe Balaña – propriétaires de l’arène – la soirée a lieu à l’occasion de la journée internationale de la tauromachie.
Associations, fans et professionnels du secteur, tout le monde a répondu présent, sauf celui qui fait couler de l’encre : le taureau. Il est pourtant de nouveau le bienvenu depuis 2016, date à laquelle le Conseil Constitutionnel espagnol a annulé la loi votée six ans plus tôt par le Parlement de Catalogne, qui avait décidé l’interdiction des mises à mort lors des corridas. Malgré cette autorisation, aucun promoteur n’a depuis réinvesti dans la tauromachie et l’arène est restée désespérément vide, jusqu’à ce que le brouhaha des soirées électro remplace celui des toreros. Une absence d’interêt qui peut étonner, mais qu’il faut replacer dans son contexte, nous explique Víctor Martín Morata, président de la Unión de Taurinos y Aficionados de Catalunya, une association qui lutte pour la préservation de la culture taurine dans la région :
« La famille Balaña est une famille barcelonaise très bien implantée, qui a des commerces dans beaucoup de secteurs en Catalogne. Je ne crois pas qu’ils refusent d’ouvrir les arènes à cause de motivation politiques ou par conviction animaliste, je crois simplement qu’organiser un tel événement serait pour eux un conflit d’intérêt. La tauromachie va à l’encontre de la pensée « officielle » de la Catalogne et ouvrir les arènes aux taureaux seraient pour eux comme une mort civile. »
À l’époque du vote, en 2010, les députés avaient massivement donné un avis favorable à l’abolition de la tradition de la tauromachie (69 pour, 55 contre et 9 se sont abstenu). Il serait désormais mal vu d’organiser un tel spectacle dans la cité comtale, d’autant plus que plane la menace d’un échec commercial : le public catalan ne se réclamant en majeure partie plus de cette tradition, pas sûr qu’il se rue sur des places.
« La Catalogne qui combat »
Si l’acte symbolique – c’est ainsi que les organisateurs le décrivent – prévu jeudi n’est pas immensément populaire en Catalogne, plutôt fortement orientée en faveur de la protection des animaux, il regroupera tout de même un bon nombre d’intéressés, à commencer par la Fédération taurine de Lidia, qui a imaginé cet événement. Mais à quoi bon rassembler des passionnés pour ne pas leur montrer ce qu’ils veulent voir ?
Photo : escuela taurina de Catalunya, Carmelo Betolaza
L’organisation, basée à Madrid, a voulu une soirée festive et revendicatrice. En invitant une foule de professionnels du secteur, en obligeant le public à réserver ses places à l’avance, et en ne décrivant le programme de la soirée qu’en promettant « de la poésie et de la lutte », il semble qu’elle veuille plutôt organiser une soirée d’initiés. Un entre-soi choisi, qui montre clairement que derrière cette fête se cache surtout une réponse musclée à ceux qui pensent que la tauromachie catalane est terminée, sous-entend la Fédération de Entidades Taurinas de Catalunya dans son communiqué :
« Ce sera une soirée pour défendre la Catalogne tauromachique, celle qui combat, mais surtout celle qui jouit sans complexe de sa culture, la tauromachie ».
À une semaine de la polémique soulevée par le ministre de la culture Ernest Urtasun avec sa proposition de supprimer le prix national de tauromachie et de réfuter le statut de « patrimoine culturel » dont la discipline jouit depuis 2013, cet acte symbolique arrive au bon moment. Les festivités du 16 mai réveillent un combat millénaire entre la corrida et ses détracteurs, mais pas sûr, cependant, que ce soit suffisant pour relancer l’élan de la tauromania dans les arènes de la Monumental, désormais plus habituées au bruit des pas de danse qu’à celui des sabots.