À la surprise générale, une étude du National Bureau of Economic Research démontre que la méritocratie a plus de poids en Espagne qu’en France. Mais comment cette donnée est-elle calculée, et quels sont ses effets sur l’économie d’un pays ? Analyse.
Photo de couverture : banque d’images de la mairie de Barcelone – Vicent Zambrano Gonzalez
La méritocratie est un concept assez confus, théorisé pour la première fois dans un roman dystopique du milieu du 20e siècle. De fil en aiguille l’idée romanesque a infusé dans notre langage et est aujourd’hui devenu un lieu commun, bien que le monde n’ait toujours pas réussi à se mettre d’accord : est-ce une théorie réelle ou bien une notion inventée de toutes pièces pour justifier le système capitaliste et ses dérives ?
Quoi qu’il en soit, le National Bureau of Economic Research a décidé d’en savoir plus en menant l’enquête dans 28 pays et sur la base de données fournies par 120 000 personnes recrutées dans des entreprises différentes. Il diffuse aujourd’hui ce rapport dont les chiffres ont été glanés en 2017 et contre toute attente, l’Espagne surpasse la France, l’Italie et même la Grande-Bretagne.
Comment calcule-t-on l’indice de méritocratie ?
Attention, il faut s’accrocher. Pour calculer ces données, l’institut s’est appuyé sur ce qu’il appelle « le scénario parfait ». C’est à dire qu’une société méritocratique est considérée comme telle lorsque chaque travailleur occupe la position qui lui correspond. Dans les faits, ce scénario est atteint lorsque le potentiel d’un travailleur est équivalent à ce que l’entreprise lui demande et qu’en fin de compte, le PIB produit atteint le maximum de son potentiel. Avec ce calcul, l’Espagne arrive à 60% de rendement par individu, tandis que la France ne dépasse pas les 40%.
Au vu du classement, les chercheurs en ont conclu que la méritocratie est grandement liée à la richesse du pays. Par exemple, la Norvège arrive en tête du palmarès avec plus de 75% de rendement, tandis que l’Équateur est bon dernier. Cette corrélation s’explique lorsque l’on prend en compte les facteurs d’inégalité qui sont intrinsèquement liés à la notion de méritocratie.
Inégalité des chances et méritocratie
On ne peut pas théoriser la méritocratie sans parler d’inégalité des chances. Chez les plus riches, les enfants auront accès à la meilleure éducation, fréquenteront les familles les plus aisées et créeront donc des relations avec des individus qui auront le même niveau de vie et d’étude. Une fois sur le marché du travail, ces derniers s’aideront à atteindre des postes correspondant à leurs compétences réelles et produiront ainsi plus de rendement.
Dans les familles les plus pauvres, les études ne seront pas souvent possibles, et si elles le sont, les enfants provenant de quartiers défavorisés n’auront pas les mêmes contacts que leurs homologues issus des classes plus aisées : leur insertion dans le monde du travail sera plus difficile et, souvent, le travail finalement décroché ne sera pas à la hauteur de leurs compétences réelles. En Espagne, ces inégalités sont d’ailleurs croissantes. En effet, en 2005, le fait d’être né dans un environnement ou un autre représentait 43 % de l’inégalité tandis qu’en 2019, ce chiffre s’élevait à 68 %.
Photo : Clémentine Laurent
Le cas de l’Espagne
Comment se fait-ce alors que l’Espagne, dont le PIB est pourtant assez faible – 1 160 millions d’euros à l’échelle du pays en 2017 contre presque 3 millions en France – soit aussi bien noté ? Les auteurs de la recherche l’expliquent :
« Une plus grande méritocratie dans les pays à revenu élevé est avant tout une conséquence, plutôt qu’une source, du développement économique. Par conséquent, les politiques visant à améliorer le taux de correspondance entre le potentiel d’un travailleur et celui de son entreprise ne peuvent à elles seules éradiquer les différences de revenus entre les pays, à moins qu’elles ne soient combinées à des interventions visant à améliorer la productivité dans ces pays ».
Pour résumer, l’Espagne atteint un niveau de méritocratie assez élevé – si tant est qu’elle existe, rappelons-le – car elle est relativement riche, mais cette méritocratie n’aura pas d’incidence notable sur son économie tant qu’elle n’en modifiera pas les fondements. En comparaison, la France a théoriquement un système moins méritocratique que sa voisine, mais un PIB plus élevé car un système économique – et notamment industriel – bien plus efficace.