Barcelone attire depuis toujours les jeunes étudiants. Mais quand Français et Italiens peuvent aisément rester dans la cité comtale pour travailler, les étrangers non-Européens se retrouvent démunis, et ont recours à un faux pacs afin de pouvoir continuer à y résider. Décryptage d’un phénomène de société.
Photo de couverture : Equinox
« Elle m’a dit qu’elle adorait Barcelone et ne voulait pas rentrer en Russie, alors je le lui ai proposé. Elle a été super reconnaissante et m’a payé 1000 euros », raconte Davide*, un Italien barcelonais d’adoption depuis trois ans. « Je connais beaucoup de personnes qui l’ont déjà fait, c’est assez commun ici », continue-t-il. Ce qui est « commun », c’est l’équivalent du pacs français, appelé parejas de hecho. Un constat partagé par Camille*, française arrivée à Barcelone il y a un an et demi, qui a elle aussi entrepris la démarche avec son partenaire de l’époque, un Canadien : « Je ne pense même pas que ce soit lui qui l’ait évoqué en premier. On en a entendu parler autour de nous, beaucoup de nos amis avaient fait la même chose, donc c’était assez logique de le faire aussi ».
En effet, de plus en plus de jeunes non-Européens arrivés dans la cité comtale – souvent dans le cadre d’études, c’est le cas de l’ex-compagnon de Camille venu pour terminer un master – et souhaitant s’y installer sur le long terme ont recours au pacs blanc. Ils demandent alors à des jeunes Européens, souvent des amis ou des colocataires, et dans quelques cas leur partenaire réel, de s’unir avec eux devant notaire pour avoir accès aux papiers et ainsi bénéficier des droits espagnols.
« Je n’ai rien eu à faire, à part aller à quelques rendez-vous »
En Espagne, les conditions d’obtention du pacs sont régulées en fonction de la région, et la Catalogne considère comme valides pour cette union civile tous les couples qui remplissent les critères suivants : la personne européenne du couple doit résider sur le territoire, les deux partenaires doivent loger à la même adresse, le ménage doit passer devant un notaire, les deux membres doivent être majeurs et aucun des deux ne peut être déjà marié. Facile, dans ces conditions, pour Davide et sa colocataire russe Olga de demander une union civile. Grâce à cet acte notarial en 2023, la Russe est détentrice d’une carte de séjour qui lui permet de résider et de travailler en Catalogne pendant cinq ans.
Pour obtenir cette fameuse carte, le processus est long – environ six mois – mais relativement simple, raconte Davide : « Je n’ai rien eu à faire à part aller à quelques rendez-vous. Elle s’est occupée de tout ». Un coup de main « normal » pour le jeune Italien, à ce jour encore uni civilement à son ex-colocataire, avec laquelle il n’a plus de contacts. Pour Camille, évident, aussi, d’aider son ex-partenaire à rester sur le territoire, surtout au vu du peu d’efforts à fournir : « Je me suis renseignée pour savoir ce que ça voulait dire pour moi si jamais on se séparait mais je n’ai jamais hésité. C’était super simple à faire, ça lui donnait le droit de résider et travailler à Barcelone et surtout, en cas de rupture, on envoie juste une lettre pour briser le pacs ». Aujourd’hui, Camille est encore pacsée à cet ex-compagnon, et regrette seulement de ne plus pouvoir aider les nouvelles personnes qui le lui demandent.
Photo : Vicente Zambrano, banque d’images de la mairie de Barcelone
Au-dessus de ce plan infaillible et d’une facilité enfantine, un danger plane pourtant : celui des contrôles judiciaires. Et quand on demande à Davide si un éventuel contrôle l’effraie, la réponse fuse : « pas du tout ». Pourtant, l’amende encourue est salée, elle peut s’étendre de 501 euros à 10 000 euros. Mais cette menace n’a pas franchement l’air d’inquiéter ni les demandeurs de pacs ni les jeunes Européens qui acceptent de s’unir civilement avec ces derniers.
Et force est de constater que ni l’une ni l’autre des parties ne prend de précautions concernant cette pratique pourtant illégale : sur les réseaux sociaux, les offres de pacs fleurissent en toute transparence. Sur Facebook, notamment, on trouve un groupe intitulé « Pareja y conviviencia », sur lequel plus de 4 000 membres sont actifs. Tous les jours, des personnes de nationalités différentes publient leurs messages, tantôt cherchant à se pacser, tantôt offrant leurs services, moyennant argent comptant. Car il ne faut pas se leurrer, le business du pacs est un business juteux : les jeunes non-Européens qui n’ont pas la chance d’avoir un ami généreux devront mettre la main à la poche, tout en espérant ne pas faire se prendre.
*les prénoms ont été modifiés.