On peut dire beaucoup des gens qui habitent une ville en observant la manière dont celle-ci est conçue. À Barcelone, la première chose qui frappe – en dehors de la surpopulation canine – c’est l’omniprésence des bancs. Mais pourquoi ? Enquête.
Photo de couverture : image Equinox
La population de Barcelone serait-elle feignante au point que la municipalité ait cru bon de la faire s’asseoir tous les 5 mètres ? Evidemment, la réponse est non. Les bancs font partie d’un projet d’urbanisme démarré il y a presque 50 ans dont toute la substantifique moelle repose sur la valorisation de l’espace public comme lieu de vie populaire.
Ariella Masboungi est architecte-urbaniste, nommée Grand prix de l’urbanisme 2016, ex-chargée de la mission Projet urbain auprès du ministère Français et notamment auteure de « Barcelone, la ville innovante » (ed. Le Moniteur, 2010); et elle a accepté de nous aider à tirer le portrait de Barcelone, cette « ville du plaisir ».
« Barcelone est un projet politique »
Concernant notre interrogation sur les bancs, Ariella Masboungi nous explique :
« Il y a plusieurs raisons à la présence accrue des bancs à Barcelone. Déjà, cela tient au mode de vie des espagnols, qui vivent dehors et qui occupent l’espace public : il faut donc le rendre agréable. Barcelone est composée à 50% d’espace public et les bancs s’inscrivent dans cette démarche, de faire une ville où on a envie de s’asseoir. Et il faut se rappeler que Barcelone, politiquement, a eu la chance de voir des mairies socialiste se succéder presque sans interruption. Ça a permis un projet d’urbanisme avec plus de continuité que de rupture. Sous chaque nouveau mandat, le souci de rendre l’espace public accessible à tous était dans les esprits. Barcelone est un projet politique. »
Depuis la fin du franquisme, Barcelone a en effet connu un demi-siècle de socialisme quasi-continu – à l’exception d’un mandat à droite et de deux mandats de gauche radicale – , et la ville en a ressenti les effets. Cet urbanisme idéologique commence avec le mandat de Pasqual Maragall (1982-1997), qui recrute Oriol Bohigas, grand architecte et urbaniste visionnaire. Ce dernier décide de confier l’aménagement des quartiers à une équipe composée de quelques-uns de ses meilleurs élèves, qui construisent plusieurs îlots, au sein desquels ils installent des bancs et des rues uniquement réservées aux piétons. La construction de ces espaces est extrêmement rapide, et Barcelone devient alors, selon Masboungi, « la mecque de l’urbanisme ». C’est aussi grâce à Buhas que Barcelone devient la première ville qui, à l’approche de ses Jeux Olympiques (1992), en profite pour se remodeler : « On avait jamais vu ça, une telle rapidité dans l’exécution ! En France, on ne peut pas faire ça, les services techniques sont mauvais et les élus ne prennent pas de décision franche ».
À noter, aussi, le statut spécial de Barcelone, ville démocratique, intellectuelle, qui favorise le piéton et l’échange entre les gens. A l’inverse, les villes de pouvoir, plus libérales comme Madrid font la part belle au trafic routier, qui facilite le passage des voitures et donc des élites, propriétaires d’automobiles.
La gentrification et le surtourisme : des problèmes modernes
À Madrid ou à Barcelone, quand on parle d’urbanisme, le même problème apparait : une ville peut-elle mourir de son succès ? C’est la question – vertigineuse – que les urbanistes en charge de grandes métropoles se posent aujourd’hui. Barcelone, avec ses 85 millions de touristes annuels et sa popularité grandissante, n’a évidemment plus les mêmes préoccupations urbaines que dans les années 1980. Mais comment garder une ville agréable tout en gérant un flux de plus en plus conséquent ? Pour Arielle Masboungi, plusieurs solutions s’offrent à la cité catalane : « Pour contrer ça, il faut développer le logement social, bloquer les hôtels dans le centre et s’occuper du problème airbnb ».
Un défi de taille, mais qui ne devrait pas faire peur à Barcelone, tant la culture de l’urbanisme et le souci de faire du piéton le coeur de l’urbain sont implantés. Tout du moins tel était le cas jusqu’à l’élection de Jaume Collboni (Parti socialiste de Catalogne) à la tête de la mairie de Barcelone, en juin dernier. Alors que sa prédecesseure Ana Colau (Barcelona en comú – gauche radicale), avait injecté un budget conséquent pour faire fuir les véhicules de la ville, Collboni rétropédale.
Photo : la rue Pelai après (gauche) et avant (droite) les changements opérés par Collboni
Crédits : montage Equinox / banque d’images de la mairie de Barcelone – Lucas Amillano, Clara Soler Chopo
Une des premières actions du maire nouvellement élu fut en effet de repeindre couleur goudron la rue Pelai – anciennement recouverte de motifs bleus par la mairie communiste- et de la doter de nouvelles places de stationnement pour deux-roues, vélos et camions de déchargement. Résultat : plus de véhicules et moins de respiration.