Les douaniers espagnols et français estiment qu’un camion sur trois intercepté à la frontière en direction de l’Espagne transporte des déchets illégaux, c’est-à-dire non traités ou classés. La péninsule ibérique tire la sonnette d’alarme.
Photo : Marti Petit Ajuntament
Un trafic méconnu du grand public sévit entre l’Espagne et son voisin français. Il s’agit du transit illégal de déchets. Pourtant, ce phénomène constitue déjà la quatrième activité criminelle la plus importante au monde après le trafic de drogue, le trafic d’êtres humains et la contrefaçon.
Selon la Guardia Civil, le nombre de camions transportant des déchets urbains et traversant la frontière franco-espagnole explose. Ces derniers représentent une menace pour la péninsule ibérique, car les ordures transitées sont bien souvent ni traitées ni triées. Certains seraient même fortement toxiques. Une situation qui pourrait transformer l’Espagne en une décharge du sud de la France.
Un transit illégal de déchets
Tout un système s’est établi entre l’Hexagone et la péninsule ibérique. Selon nos confrères de La Vanguardia, les entreprises françaises de collecte des déchets urbains envoient leurs détritus vers des décharges espagnoles, notamment en Aragon, où leur traitement est moins onéreux. Selon les forces de l’ordre espagnoles, ces transferts se font par le biais de camions dont les déchets illégaux sont recouverts d’une première couche de déchets traités et classés.
Les contrôles aléatoires des forces de sécurité espagnoles et françaises constatent qu’environ un camion sur trois intercepté à la frontière en direction de l’Espagne transporte des ordures illégales. Selon leurs informations, ce trafic est principalement réalisé par des entreprises françaises et espagnoles situées en Catalogne et en Aragon. Les produits saisis sont variés, il s’agit aussi bien des pots de peinture, que de batteries, solvants ou encore de produits de nettoyage… pouvant présenter une grande toxicité.
Le traitement des déchets moins cher en Espagne
Les entreprises françaises optent pour un envoi de leurs déchets en Espagne, car ici, leur gestion est bien moins coûteuse. Pourtant, Carlos Astráin, de l’Unité Centrale Opérationnelle de l’Environnement (UCOMA) de Seprona, a rappelé que la législation espagnole et européenne interdit formellement l’entrée en Espagne de déchets non classés en provenance d’autres pays, selon le principe que chaque pays doit s’occuper des siens.
Selon les forces de l’ordre, les ordures transportées sont cachées sous les premières couches de marchandises, qui elles sont traitées et surtout classées non-dangereuses. Il s’agit par exemple du papier, du carton ou des déchets de chantier. Les camions pris en flagrant délit paient une pénalité, mais cette amende, même si elle est importante, ne dissuade pas ces organisations criminelles de poursuivre ce commerce très lucratif.
Des milliers d’euros de bénéfices
En France, la gestion d’une tonne de déchets d’origine urbaine (son traitement et son élimination) coûte 250 euros, dont 50 euros de taxes. En Espagne, le coût, taxes comprises, est de 40 euros. Certaines bandes organisées ont pris conscience de la rentabilité de cette activité illégale : un camion qui transporte 20 tonnes de déchets paie 5.000 euros en France pour les gérer (20 tonnes pour 250 euros pièce), alors qu’en Espagne le coût serait de 800 euros.
Selon les estimations des forces de l’ordre, les organisations criminelles pourraient obtenir jusqu’à plus 3.000 euros de bénéfice pour chaque camion transitant de la France à l’Espagne. En somme, si entre 10 et 20 véhicules entrent quotidiennement, le bénéfice oscillerait entre 30.000 et 60.000 euros chaque jour. Un calcul néanmoins revu à la baisse grâce aux contrôles de la Guardia Civil et de la gendarmerie, effectués plusieurs fois par an pendant une durée de trois jours consécutifs. Ils permettent, selon Carlos Astraín, d’intercepter entre 35 et 45 camions transportant des déchets inadéquats.
Inquiétudes environnementales
Pour l’Espagne, cette activité représente un problème environnemental. Et pour cause, enfouir des tonnes de déchets non traités peut causer de graves dommages, potentiellement irréversibles, aux écosystèmes. Côté santé publique, les populations proches des installations où les résidus sont enterrés courent un risque. Les produits toxiques peuvent se répandre dans les nappes phréatiques ou dans les champs à proximité… au détriment des cultures et de la qualité de l’eau.
Pour la France, un problème fiscal se pose. Effectivement, un grand manque à gagner pour l’État s’accentue en raison du non-paiement des taxes sur la gestion des déchets. Pour lutter contre le phénomène, la Guardia Civil et la Gendarmerie française ont lancé, en 2022, l’opération conjointe Augias pour renforcer le contrôle transfrontalier du trafic de déchets. Un combat encore long.