Devant, des commerces à foison et des clients qui font la queue depuis la Rambla. Derrière, des stands fermés et une place vide. Selon l’entrée, le sort du marché de la Boquería n’est pas le même. Reportage.
Entre 20 000 et 60 000 touristes par jour, tout au long de l’année. Un lieu couvert et emblématique, en plein coeur de Barcelone, au bord de la Rambla. Commercialement, la Boquería a tout pour elle. Posséder un étal à l’intérieur des célèbres halles barcelonaises vaut de l’or. « Mon local ? Il coûte 1 million d’euro », affirme fièrement Francisco. A un an de prendre sa retraite, le boucher fait partie des meubles. Depuis 47 ans, il vend ses viandes et charcuteries non loin de l’entrée ornée d’un blason « Mercat Sant Josep », sur la droite. Le bon emplacement. « J’ai de la chance », avoue-t-il.
Car à quelques mètres de là, l’ambiance est tout autre. A mesure que les pas s’enchaînent et que se traverse le marché, les rideaux de fer s’abaissent. Une fois les premiers stands de fruits, légumes, olives et confiseries passés, les suivants perdent de leur vivacité. Presque morts. « Celui-ci avait été acheté il y a deux ans, mais il a coulé », pointe du doigt Rafael, vendeur de fast-food végétarien, en direction du commerce d’à côté, tout au fond du marché face à la plaça de la Gardunya.
Plusieurs commerces fermés au fond de la Boquería
Depuis quelques mois, Rafael n’a plus de voisin et n’en a toujours pas retrouvé. Des étals vides comme celui-ci, la Boquería en compte l’équivalent de 21, selon El Periodico, sur un ensemble d’environ 200 commerces. Bien que le chiffre reste difficile à quantifier, le nombre de mètres variant selon le contrat de concessions sollicité.
Mais sur les volets barricadant les cinq blocs, aucune pancarte n’inscrit « à acquérir ». Elles auraient été là depuis trop longtemps. Jusqu’à huit ans pour certains. « En même, toi, tu l’achèterais ? », lance Rafael, amèrement. C’est pourtant l’endroit le moins cher du marché. 25 000 euros le mètre, environ, dit la rumeur. 12 fois moins que la boucherie de Francisco. Une bonne affaire, donc ?
Interrogée, la mairie dément toute intention de vente. Les stands fermés ne cherchent pas preneur. Ils auraient été récupérés par la municipalité, le temps de définir leur futur, dans le cadre du plan de réorganisation des espaces de la Boquería. « Pour libérer de la place et fluidifier la masse touristique ? Ou peut-être pour dynamiser la plaça de la Gardunya ? C’est en débat », explique Màxim López, gérant des marchés de Barcelone.
« Un touriste ne veut pas venir de ce côté »
Mais quand bien même, la promotion existerait, l’affaire n’est pas bonne, assurent les commerçants. Dans les faits, les 60 000 touristes n’arrivent jamais jusqu’au fond de la Boquería. Et lorsqu’ils touchent le but, « ils ont déjà fait leurs achats ». A la sortie du marché, plaça de la Gardunya dans le Raval, le gros de la clientèle à capter est celle qui arrive avec sa propre voiture et se gare dans le parking souterrain. « Mais allez, ça représente 1 %, estime Francisco. Les 99 autres pour-cent arrivent par la Rambla donc c’est cette entrée et la zone centrale qui concentrent le business ». A ces endroits, les commerçants arrivent parfois à vendre leurs produits trois à quatre fois plus cher qu’ailleurs à Barcelone. Un chiffre doublement impossible à atteindre côté façade opposée.
Car ajouté au manque de flux touristique, entièrement condensé dans le centre – raison pour laquelle la mairie a libéré des espaces pour former des îlots de respiration -, il faut ajouter la clientèle malfamée. « Il y a des sans abris et des drogués. La nuit, c’est compliqué. Il y a des gens par terre, on se demande s’ils sont morts ou vivants », énumère William, serveur d’un bar de la place. « Un touriste ne veut pas venir de ce côté ». Or, aux yeux de Màxim López, gérant des marchés de Barcelone, c’est bien là le souci.
« La vente destinée aux touristes est un problème. La Boquería reste et doit rester un marché municipal. Il faut penser à long terme », assure le fonctionnaire, plus optimiste. Mais de l’autre côté de la caisse, les factures attendent d’être payées. Et dans les allées, les stands fermés laissent perplexe sur la possibilité que le commerce barcelonais fasse son marché, des deux côtés.
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