Presque introuvables dans les supermarchés, en faibles quantités, ou peu savoureux, les bons fruits et légumes se font rares en Espagne. Dans un pays pourtant réputé pour ces produits du soleil. Mais où se cachent-ils ? Zoom sur l’ombre de l’image dorée des fruits et légumes espagnols.
L’Espagne, pays du soleil. Des oranges, des agrumes qui jutent. Des fruits et légumes adeptes de vitamines D. D’une telle abondance qu’elle remplie les rayons des supermarchés outre frontière. Alors « ils doivent être délicieux dans leur pays », entendrait-on dire côté français. Et pourtant, chez les magasins et primeurs barcelonais, les étales peinent à rayonner par leur diversité. Et même lorsqu’elle se fait remarquer, dans les mains des consommateurs, difficile de palper de la qualité.
Alors où sont passés tous ces fruits et légumes qui dorent l’image ibérique ? « Les produits de qualité partent en Europe en général parce qu’ils sont mieux payés que sur le marché national« , explique Sophie Pagnon, directrice communication de la chaîne de magasins bio Veritas. L’Espagne est d’ailleurs le premier producteur et exportateur européen et l’un des trois premiers au monde, avec la Chine et les Etats-Unis.
À elle seule, la péninsule ibérique regroupe 26 % de la production européenne, devant l’Italie, la Pologne et la France. Mais selon le Ministère de l’Agriculture, la moitié de la production maraîchère et fruitière espagnole se destine à la vente externe. Direction d’abord l’Allemagne, puis la France et le Royaume-Uni. En tête des produits les plus achetés en Europe : les oranges, suivi des pastèques, poivrons, laitues, clémentines, citrons, concombres, tomates, puis des pêches et melons. Tous traversent la frontière en nombre, chaque fois plus élevé chaque année. À tel point que 80 % des exportations partent aux quatre coins du continent (91 % en incluant les Britanniques). La France en regroupant 18 %.
Il ne reste donc plus que 10 % de production de fruits et légumes pour l’Espagne elle-même. Un pourcentage identique concernant les produits biologiques, dont seulement 3 % ne sont consommés par les Espagnols. « Le reste, encore une fois, part en exportation », renchérit Sophie Pagnon.
Le prix de la sécheresse (et du bon goût)
Difficile donc, de garder le bon pour soi. Par souci de rentabilité, les Castillans sacrifient alors le goût et finissent par perdre l’envie de manger leurs cinq fruits et légumes par jour. En cinq ans, la consommation quotidienne de fruits est descendue de 10,6 %, et de 14,1 % pour les légumes. D’après une étude élaborée pour une marque de snacks espagnols, cette baisse s’explique par des produits jugés peu savoureux. Et lorsque le bon goût peut encore s’acheter, il faut mettre le prix.
Chez Veritas par exemple, le prix au kilo des pommes Golden Granel biologiques et locales grimpe à 3,75 €, contre 1,99 € dans une superette classique pour la même variété. Presque le double du prix. Preuve qu’en Espagne, comme ailleurs, il faut mettre la main au porte-monnaie pour les produits jugés de meilleure qualité, même quand ils viennent de chez soi.
D’autant qu’un facteur doit aussi être pris en compte, au-delà de l’inflation et des coups plus élevés pour les cultures biologiques : la sécheresse. Avec plus de deux ans de menace à son compteur, l’Espagne souffre du manque d’eau pour ses productions. « En ce moment par exemple, certains produits sont compliqués à avoir comme les mangues espagnoles », note Sophie Pagnon, du groupe Veritas. Eux, travaillent avec des maraîchers locaux. Alors, forcés de s’adapter au contexte de chaque région et à la réalité de la terre, les rayons se retrouvent garnis de fruits et légumes de plus petits calibres. Si tant est qu’ils soient remplis. « Les quantités sont plus faibles », reconnaît la directrice communication. Derrière l’image de fournisseur espagnol, il se pourrait donc bien que le Pays de Cervantes soit en mal de son propre gagne-pain. Jusqu’à parfois, comble de l’histoire, devoir importer depuis son voisin : la France.
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