Le rail a le vent en poupe en Espagne, porté par les mesures gouvernementales et l’ouverture à la concurrence. Décryptage d’une affaire qui roule.
Depuis le 1ᵉʳ septembre 2022, les trajets réguliers en train de banlieue, train régional et autocars inter-villes sont gratuits en Espagne et les abonnements de métro et bus de ville bénéficient d’une réduction de 50 %. Cette mesure phare du plan gouvernemental contre l’inflation visait aussi à convaincre davantage d’Espagnols d’intégrer les transports publics dans leur quotidien, en laissant plus souvent leur voiture au garage.
Objectif atteint avec Barbara, la quarantaine, qui a pris son abonnement dès septembre 2022.« J’avais une mauvaise image du train, je pensais que c’était très bruyant et un peu dangereux », avoue l’entrepreneuse. Contrainte de se déplacer souvent à Cambrils où habitent ses parents, elle s’est toutefois laissée convaincre par la gratuité. « J’ai été agréablement surprise, et par rapport à la voiture, je peux profiter du trajet pour travailler et j’évite les galères d’embouteillage, du coup, j’y vais plus souvent ».
La mesure est pour l’instant en vigueur jusqu’au 31 décembre, mais Barbara assure qu’elle continuera à prendre le train même si elle doit payer l’abonnement. « J’encourage tout le monde à le faire, j’ai même réussi à convaincre mes parents de venir me voir en train alors que ça faisait 40 ans qu’ils n’étaient pas entrés dans une gare ! ».
Entre septembre 2022 et mai 2023, les trains régionaux avaient déjà observé une hausse de fréquentation de 67 % et les trains de banlieue de 27 %. Les transports publics espagnols accueillent chaque jour 200.000 utilisateurs de plus qu’avant la gratuité et les réductions. Un véritable succès selon l’organisation Greenpeace qui a récemment publié un rapport sur le sujet. Selon ses calculs, l’Espagne a ainsi réduit ses émissions de CO2 d’entre 160 et 320 tonnes par jour, en remplaçant entre 10 et 20 % des trajets en voiture par les transports en commun.
La conscientisation écologique
Mais l’usage croissant du rail trouve aussi racine dans l’ouverture des chemins de fer espagnols à la concurrence. Avec quatre opérateurs sur la ligne de TGV Barcelone-Madrid, le prix moyen du billet a été divisé par deux, avec désormais la possibilité de rejoindre la capitale pour seulement 15 euros. De quoi convaincre les voyageurs qui sont maintenant près de 80 % à préférer le train à l’avion sur ce trajet. « Le TGV est beaucoup plus agréable, il relie directement les villes et il est plus écologique », explique Nicolas, cadre dans une multinationale à Barcelone.
Car au-delà du prix, la dimension environnementale est devenue un critère de plus en plus important pour les usagers, et en particulier chez les jeunes, que ce soit pour des trajets quotidiens ou de plus longues distances. Selon une étude de l’entreprise ferroviaire Evo-Rail, 77 % des Ibériques de moins de 34 ans préfèrent le train à tout autre mode de transport, notamment pour leur empreinte carbone.
Mais si les Espagnols sont prêts, l’Espagne l’est un peu moins. De nombreuses villes ne sont pas reliées correctement au réseau ferroviaire à grande vitesse, tandis que les lignes régionales n’atteignent pas assez de communes ou souffrent d’un manque d’entretien, provoquant ainsi des retards réguliers. « C’est bien d’encourager à prendre le train, mais il faudrait déjà que ça fonctionne », lance Ernest, la cinquantaine, croisé dans la gare du Clot. Un chantier auquel peine à s’atteler Madrid et pour cause : la gratuité des transports aura coûté 1,6 milliard d’euros à l’État, il faudrait débourser au moins 80 milliards pour disposer d’un réseau ferroviaire national efficace.