L’Espagne abrite les judas de portes les plus anciens d’Europe, et Barcelone n’est pas en reste. La cité catalane regorge de petites grilles amovibles, derrière lesquelles toutes les théories sont permises.
Photo : Maréva Laville
Conservation du patrimoine ou mesure d’économie, la présence importante de vieux judas à Barcelone répondrait à différents facteurs. « Les anciennes portes possèdent une qualité de matériaux et de travail artisanal qu’il serait à la fois difficile et coûteux de retrouver et les judas sont aussi jolis, explique Guillem Peris, du cabinet Lallotja Arquitectes, les propriétaires préfèrent en général les conserver lors de rénovations ». Un choix à la fois esthétique et économique, renforcé par une volonté institutionnelle de préserver les atouts historiques des bâtiments espagnols.
Depuis 1993, la Catalogne a lancé un strict plan permettant de définir les changements autorisés sur chaque élément d’un bien immobilier rénové. « La restauration est particulièrement encouragée par les pouvoirs publics, à travers ces plans mais aussi des prix et concours valorisant la préservation du patrimoine », confirme l’architecte catalan Enric Villavieja. Les judas anciens, typiques des immeubles modernistes de l’Eixample, constituent donc un élément décoratif valorisé, qui donne un cachet unique aux portes d’entrées. Ils sont d’ailleurs devenus si emblématiques que les amateurs peuvent se les procurer sur des boutiques en ligne spécialisées dans l’art nouveau catalan. Sur le Barcelona Gaudi Shop par exemple, le judas inspiré par les œuvres du célèbre architecte catalan constitue une pièce de choix, pour laquelle il faudra débourser 486 euros.
Voir sans être vu
Toutefois, si la petite lucarne ne manque pas de charme, elle remplit aussi, et d’abord, sa fonction première : voir sans être vu. Un atout utile pour de nombreux logements barcelonais. « La culture du concierge, encore très présente en Espagne, joue aussi dans le fait de garder et utiliser les judas, car les portes de l’immeuble restent souvent ouvertes et on ne sait pas forcément qui sonne directement à notre porte », poursuit Guillem Peris. Une façon donc de contrôler l’identité du visiteur qui n’est pas passé par l’étape interphone.
Mais la conservation des discrètes petites grilles aurait encore une autre explication. « On aime bien les commérages ici ! « , s’amuse l’architecte. Le fameux cotilleo, ou l’art du ragot si cher aux Espagnols, ne serait ainsi pas étranger à leur attachement pour ce mode d’espionnage avec vue privilégiée sur les allées et venues des voisins. « Le judas, c’est un Instagram à l’ancienne », résumait récemment la journaliste Isabel Lobo sur la radio Onda Cero. Un stalking avant l’heure, qui dure tout de même depuis le XIIIe siècle à en croire les plus anciens judas retrouvés dans la péninsule.