J-3 avant les fêtes de Gràcia. Le compte à rebours est lancé. Depuis deux semaines, les habitants se dévouent, corps et âmes, pour parer leur rue et faire d’elle, la plus belle de Barcelone. Des histoires de famille, d’amitiés et de quartier. Lever de rideau sur l’évènement le plus attendu de l’année (et le plus aimé de ceux qui le façonnent).
De haut en bas et de gauche à droite. Dans la rue Verdi du quartier Gràcia à Barcelone, les petites mains s’activent. Les doigts s’entremêlent autour de sacs-poubelles, les poignets se plient au rythme des pinceaux, les pieds écrasent des bouteilles en plastique. Les bras élèvent des décorations, les coudent orientent les pistolets à colle, les pas se multiplient. Un peu de musique maestro, et que commence le show d’avant-fêtes de Gràcia.
Ce soir-là de mi-août, deux mamies sont descendues de leur immeuble et ont installé leurs chaises sur un bout de trottoir. Les deux copines vivent dans le quartier depuis toujours. Confortablement assises, elles admirent leurs voisins et participent à leur façon au quotidien qui rythme le quartier.
Depuis samedi 5 août, date où la mairie a autorisé les habitants à fermer les 23 rues à décorer, ils sont 15, 30, 50, 70 à descendre chaque soir, chaque dimanche ou à chaque pause, dans leur rue, pour faire d’elle la plus belle de la Fiesta Major. Chacun est à son poste, avec les moyens du bord. Les deux grands-mères aussi. « C’est ma maman », sourit Susanna, 57 ans, alors qu’elle fabrique une fleur en sac plastique.
Des histoires de famille (sans frontière)
De mère à fille, elles se sont passé le goût de la fête. Mais pas n’importe laquelle : la « grande fête de Gràcia« . Celle qui dure cette année du 15 au 21 août, certes. Mais surtout celle qui commence dès septembre, lorsque l’association de chaque rue choisit le thème de son décor. Celle qui s’anime doucement à partir de mai, dans un atelier ou au coin d’une table, dans son salon. Et celle, surtout, qui bouillonne les 10 derniers jours jusqu’à la fameuse nuit du montage, le 14 août.
« Comme je dis souvent, j’ai la peinture et de la colle dans mes veines. Mon père était président de la Fiesta Mayor. « , déclare la Catalane, en fabriquant des caches pour lanternes, qui s’intégreront à l’univers de la rue Verdi, inspiré cette année du Flutiste de Hamelin. Susanna a donc fièrement pris le flambeau de plusieurs générations investies depuis plus d’un siècle dans cet évènement.
Petits, grands, Catalans, étrangers. Ici, tous participent. « C’est quelque chose qui a toujours été inclusif et de famille », commente Josep, 61 ans, né dans cette rue, lui même fils de bénévole.
Et avec le temps, elle s’est d’ailleurs agrandie. « Elle par exemple, c’est comme notre fille ! », s’exclament les deux Catalans en pointant Coline, une Française. La trentenaire qui vivait à Gràcia pendant 8 ans, avant de repartir l’année dernière, a fait le trajet exprès depuis Marseille, sur ses congés. « Je suis arrivée ce matin et je repars le 15 août », jour du lancement. Elle rigole. « Mais pour moi les fêtes, c’est ça ! C’est un univers catalan que j’ai pu intégrer grâce à la préparation. Et puis, c’est faire des choses incroyables, avec très peu et tous ensemble ».
Une grande œuvre collective
Car à Gràcia, dans les 23 rues et places qui se transforment en un cinéma grandeur nature, les petits riens font de grandes choses. « Les gens apportent leur personnalité, et au final ça crée une grande œuvre collective. C’est ça qui est beau », s’exclame Josep, qui fait partie du comité d’organisation de l’évènement. Et ils y mettent du cœur. Il faut dire qu’il y a un concours à remporter. Et puis, il y a aussi des petites rivalités. « Nous, notre principale adversaire, c’est la rue Progrés », assure un homme de la rue Verdi, assis par terre au milieu de multiples matériaux. Parfois, certains jettent un petit coup d’œil pour voir comment avancent les autres.
« Mais c’est bon enfant ». Après tout, tous sont dans le même panier. Tous passent plus de temps à faire des ornementations, à construire des structures, les accrocher en hauteur, à monter un bar, à ramener les 600 fûts de bières… Qu’à travailler pour leur entreprise. Alors malgré la compétition, les riverains comptent les uns sur les autres. « Quand on a besoin de bouteilles par exemple, ou qu’il manque quelque chose aux rues d’à côté, on les aide », assure Constanza, présidente de la carrer Travessia de Sant Antoni. La plus jeune des 23, mais qui conserve pour autant les traditions.
Celle de réaliser des décors en matériaux recyclés, depuis la fin des années 1990. Celle de discuter entre voisins autour d’ateliers créatifs, de boire une bière après quelques heures de labeur, de partager une grande paella un soir ou une sardinade le midi. « On ne peut pas habiter à Gràcia sans vivre ça. Pour nous, c’est une identité, conclut Henar, membre du comité d’organisation, depuis la rue Travessia de Sant Antoni. Ce n’est pas un spectacle, c’est une forme de vie en fait. » Capable de tisser un lien unique entre 23 rues.
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