Boire un verre en terrasse à Barcelone n’est plus donné à tout le monde. Il faut justifier d’un certain profil, d’un temps limité, et de plusieurs porte-monnaies pour s’offrir un brin de détente à l’air libre. Reportage au cœur de ces icônes barcelonaises, devenues inaccessibles (ou presque) en été.
« Vous êtes combien ? », « c’est pour boire un verre ou pour dîner ? », « ok, mais pas plus de 30 minutes ». Le refrain est presque incessant, dans la carrer de Blai, à Poble Sec. C’est dans cette célèbre rue, connue pour ses pintxos, qu’a éclaté la dernière polémique de Barcelone : les terrasses ne sont plus ouvertes à tous les clients. Dans la capitale catalane, profiter de ces bouts de trottoir ou de jolies places, sous un parasol ou au soleil, relève désormais d’un privilège. Pas donné à tout le monde, et encore moins aux locaux. Car aux pieds de ses tables surcotées, que ce soit vers Montjuïc, à Gràcia ou dans l’Eixample, il faut avoir le bon profil pour obtenir le laissez-passer.
« Une personne seule, par exemple, ils ne la laissent pas s’asseoir, même pour dîner. Et s’ils sont deux, ils demandent d’abord si c’est pour manger ou prendre un verre. Si c’est simplement pour boire, ils refusent », annonce Ethan, habitant du quartier, employé dans un café-brunch de la rue. L’excuse la plus courante ? La table est (soi-disant) réservée. Mais l’entourloupe va parfois encore plus loin.
Table réservée, chronomètre et ticket d’attente
Dani, gérant d’un bar à Pintxos, voit certains de ses confrères à l’œuvre. « Ils donnent un temps limité », déplore-t-il sans vouloir pour autant citer de nom. Plus encore, des établissements vont même jusqu’à donner des tickets d’attente sur une terrasse de Gràcia, ou sortir le chronomètre, expliquent des Barcelonais sur Twitter.
Tanda para sentarte en una terraza de Gracia. Barcelona es autoparódica. pic.twitter.com/gEwM1PUqiP
— Numeritos ️ (@08181) June 14, 2023
Tous outrés. « J’estime que tout le monde devrait consommer ce qu’il veut, le temps qu’il veut. Pas 20 minutes, ni 30, ni une heure. Je ne veux pas être obligé de manger pour pouvoir profiter d’être en terrasse », s’exclame Adrian, un père de famille. Ce mardi 8 août après-midi, lui et ses proches ont de la chance. Ils sont plusieurs et ont quelques tapas à côté de leurs bières. « À cette heure-là, ce n’est pas trop gênant encore. Même s’ils passent souvent te voir, l’air de dire ´il faut libérer la table´ ».
« Les gens restent 2 h, juste pour un café »
Il faut dire qu’il n’est pas de coutume pour un Espagnol d’être pressé par le temps. « Les gens restent entre 1 h 30 et 2 h parfois, juste pour un café. Des fois, même 3 h pour seulement deux verres », explique Mamadou, chef du bar-bistrot La Bota. Alors une fois 19 h sonnées, « l’heure des guiris » diront certains, eux aussi se mettent au diapason barcelonais. Ils ne limitent pas le temps, mais ceux qui choisiront l’option dîner, pourront avoir l’honneur d’aller dehors. Tandis que les autres, eux, se verront cantonnés aux banquettes intérieures. À prendre ou à laisser. « On n’a que quatre tables en terrasse, et avec la chaleur, tout le monde veut aller dehors« . Alors c’est à celui qui offrira plus, qui remportera le saint Graal.
L’altre dia a la terrassa d’un bar a Barcelona:
– Podéis sentaros pero tenéis que iros en 45 minutos.
– Per què? Tanqueu ja?
– No, es el máximo de tiempo en la terraza, hacemos turnos.
– Adeu-siau.Fiqueu-vos el Port Aventura Barcelona Experience aquest per on millor us càpiga.
— Patrick Urbano (@PatrickurbanoR) August 4, 2023
Le phénomène s’est accentué après la pandémie, et s’est adapté aux horaires d’une clientèle plus touristique que locale. À leur grand dam. « 19h43 et ils n’ont pas voulu nous servir sur la terrasse du restaurant à riz de Sants parce que ‘c’était déjà l’heure du dîner », peut-on lire dans un tweet . Ou encore dans celui d’une journaliste barcelonaise : « Quatre heures de l’après-midi. Avant d’entrer au MACBA, nous voulons prendre un café. Ils ne nous le servent pas en terrasse parce que « c’est l’heure de l’apéro ».
Et ces justifications se répètent chaque été. Or à ce jeu saisonnal, les locaux préfèrent ne plus s’y prêter. Ethan, qui travaille et vit aux abords de la rue Blai avoue avoir renoncé : « J’habite ici depuis deux ans et je ne viens quasiment jamais dans cette rue à cause de ça. Plusieurs fois, j’ai voulu prendre un verre avec une amie, mais on n’a jamais pu ». Ce sera pour une prochaine fois, ou dans un autre endroit.
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