Loi logement en Espagne : fini les frais d’agence pour les locataires

loi logement en Espagne

Bonne nouvelle pour les locataires, mauvaise pour les propriétaires. C’est à ces derniers que reviendront les frais d’agence immobilière en Espagne. Une véritable révolution dans un marché ficelé pour les bailleurs. Si tant est qu’elle soit appliquée. Lumière sur une réalité au-delà des lois.

Photo : Clémentine Laurent

Petite révolution. L’Espagne est sur le point de renverser son système immobilier. Après plusieurs mois de négociations, le gouvernement espagnol a validé, jeudi 27 avril, la nouvelle loi du logement. Une fois approuvée par le Sénat, puis relue par les députés, elle imposera aux propriétaires le paiement des frais d’agence, ainsi qu’une régulation des prix des loyers inspirée de la loi catalane, annulée en 2020. Une petite victoire pour les locataires, et une grande frayeur pour les propriétaires et le secteur immobilier. Car si ce nouveau texte venait vraiment à entrer en vigueur, à partir de fin mai, c’est tout un business qui s’effondrerait.

« Ici, tout passe par les agences. Et elles tiennent sur les biens qu’elles proposent, donc sur les propriétaires », déclare Laure Condamine, experte du marché immobilier barcelonais, pour sa société de relocation A Place to live. La Française qui s’était bâtie une expérience dans ces entreprises raconte le mode d’emploi. « Une partie du travail était de sélectionner la catégorie « particulier à particulier » sur les plateformes comme Idealista, et démarcher les proprios. » Des propositions très avantageuses, sans aucune gestion des visites ni des contrats. L’ensemble, sans honoraires. En clair, il y a tout à gagner. Et même de l’argent, en prime. « Les agences peuvent faire monter le prix du loyer. Car c’est ce qui leur rapporte. Les frais de gestion reviennent aux locataires et ils sont énormes », commente Laure Condamine. Comptez 10 % de l’annualité avec la TVA, soit environ un mois et demi de loyer. Ainsi tient le procédé.

La fin d’un système gouverné par les propriétaires et agences ?

Mais maintenant qu’il faut convaincre les propriétaires de céder leurs biens contre des honoraires, la tâche s’avère plus complexe. D’autant qu’en Espagne, le marché repose sur la captation, et les propriétaires sont rois. « Ils savent comment ça fonctionne et ils ne voudront pas payer. Ils préféreront employer quelqu’un peut-être ? », imagine l’agent de relocation française. Ou faire marcher la concurrence. Car au jeu des affaires, c’est celui qui baissera la tête en dernier qui gagnera. Qu’importe la législation. « Rien nous confirme qu’ils appliqueront la loi. Ils trouveront les bonnes formules pour continuer à facturer les locataires. On n’a aucun doute sur ça », prévient le porte-parole du syndicat des locataires de Catalogne, Enric Aragonès.

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Photo : Clémentine Laurent

Lui et la Française ne mettent pas longtemps à trouver des exemples. « Récemment, une centaine de locataires se sont fait arnaquer. Ils ont payé les honoraires alors que le bailleur était une entreprise. C’est illégal », rapporte le militant. Une minute d’inattention suffit pour se faire avoir. « Il y a la loi, et ce qu’il se fait dans la réalité. C’était déjà facile de ne pas mentionner le statut du propriétaire… », renchérit Laure Condamine. Et comme tout semble permis, difficile de se réjouir pour les locataires, et compliqué de ne pas s’imaginer mille scénarios pour les agences.

« Elles ont peur. Elles se demandent qui va les payer maintenant », avance la chercheuse d’appartements. Faire preuve d’honnêteté serait risquer de ne pas encaisser un centime de la part des propriétaires. Être de mauvaise foi contribuerait à agir dans l’illégalité et escroquer les clients. « Bien que facturer les frais d’agence aux locataires représentait déjà une arnaque », commente Enric Aragonès.

Le locataire en position de force

Malgré tout, sur cette vaste table de poker, cette fois-ci, le locataire pourrait bien s’en sortir vainqueur. À condition de bien s’informer sur les nouvelles modalités, rappelle le syndicaliste. Et de savoir ruser au bon moment, s’il veut, pour une fois, prendre les rênes. Car selon Laure Condamine, c’est le moment de profiter du flou de cette nouvelle loi pour faire de grosses propositions. « Tant que personne ne sait comment ça va se passer, le futur locataire peut dire : ‘si je signe maintenant, je prends les frais d’agence’. Comme le propriétaire ignore à quel prix son logement sera limité, et qu’il ne voudra pas payer les honoraires, c’est le bon timing ».

La bonne période aussi pour les institutions. En conservant le rythme du calendrier institutionnel, la loi s’appliquerait à temps pour les élections municipales du 28 mai et quelques mois avant les générales, en décembre. Une aubaine pour les partis de gauche qui compte bien conserver le pouvoir en prenant la défense du locataire. Reste à savoir si la promesse sera tenue.

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