A Barcelone, les parents d’élèves face au silence de la diplomatie française

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Peur du scandale, réputation sur le fil, manque à gagner. À l’heure où les affaires de présumées agressions sexuelles font du bruit au lycée français de Barcelone, la diplomatie française reste discrète. Trop prudente ou pas assez attentive ? Enquête sur le défi de s’exprimer face au silence.

Photo d’illustration : Paula Jaume

Il en faut du courage pour parler à un mur. De la persévérance, pour se faire écouter. De l’audace pour oser s’inquiéter à voix haute. À Barcelone, les parents soucieux pour la sécurité de leurs enfants scolarisés dans les écoles françaises, doivent surmonter un obstacle de taille : le silence. Mais depuis l’ouverture d’une enquête pour agressions sexuelles au lycée français de Barcelone, fin mars, les langues commencent peu à peu à se délier. Accentuant celle, plus cousue, de la diplomatie française.

« On ne reçoit aucun appel, aucun mail, rien. C’est la stratégie du repli », s’exclame un parent d’une des fillettes victimes de possibles d’attouchements par un moniteur de cantine de 33 ans. Ce n’est pas faute d’avoir remué ciel et terre pour se faire entendre. En octobre dernier, il s’était entretenu avec la direction puis avait contacté le consulat. Aucun des deux n’a osé prendre le problème en main. La première s’est contentée d’atténuer l’inquiétude. Le second, de réceptionner le mail. « On se sent très seuls face à un bloc, l’école, le consulat », renchérit ce parent.

Un ressenti partagé par Adélaïde*, mère française, qui s’est confiée à Equinox après l’éclatement du scandale. Elle avait inscrit, en 2021, ses filles à l’école Ferdinand de Lesseps et au lycée français. Toutes les deux sont parties en l’espace d’un mois, sur conseils de professionnels de la petite enfance, après des interrogations sur le comportement d’un enseignant de Lesseps. La direction et l’inspection ont finalement innocenté le professeur. Sans toutefois en avoir averti directement la famille. 

« Nous sommes pourtant les principaux concernés », regrette Adélaïde, qui, deux ans plus tard, n’a toujours pas éclairé ses doutes. Dans ses archives, il lui reste trois rapports de psychologues et pédopsychiatres, plusieurs mails d’alertes envoyés à l’école, au consulat, aux inspecteurs et à l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE). Et dans ses souvenirs, l’impression d’avoir mené seule un combat face à plus grand que soit. Au point de baisser les bras, et quitter au plus vite Barcelone.

Leur parole face à une diplomatie française frileuse

« C’est très délicat. On marche sur des œufs. Quand il n’y a pas de preuves formelles, c’est difficile. Mais il y avait plusieurs éléments qui auraient pu permettre de mieux écouter. Ce n’est pas normal qu’il n’y ait pas eu de retours », déclare Renaud Le Berre, conseiller consulaire en poste à Barcelone depuis 2014. Lui se souvient bien de l’histoire d’Adélaïde. Il avait fait remonter le signalement, après avoir été contacté. Dans l’ombre des courriels, une enquête aurait été convenue, avec la venue d’un inspecteur. Sans pour autant en recevoir le compte-rendu. Pour le reste : « on m’a plus ou moins, et gentiment, rappelé à l’ordre en me demandant d’être prudent ».

Puisqu’on ne l’est jamais assez, on avertit aussi les parents et professeurs des conséquences d’une diffamation. On rappelle le poids des avocats qui sauront défendre les institutions ou écoles privées, qu’elles soient partenaires, conventionnées ou en gestion directe par l’AEFE. On s’assure d’exposer tous les risques. Et puis d’autres fois, on n’oublie pas d’évoquer que personne n’est irremplaçable. Encore moins les contrats locaux. « Par précaution ».

« Il n’y a pas de protocole très clair »

Mais à l’art de prévenir plutôt que guérir, la diplomatie française n’excelle pas toujours. Le consulat et l’ambassade n’ont pas souhaité répondre aux questions d’Equinox sur le protocole entrepris lors de signalements pour harcèlement ou agressions sexuelles, sans passer par le commissariat. La première institution ne peut parler pour sa hiérarchie. Et la représentation madrilène de l’Etat français, elle, s’en tient au communiqué envoyé aux parents d’élèves du lycée français suite à l’investigation des Mossos d’Esquadra, commencée le 20 mars dernier. Ce dernier parle de « mesures de protection nécessaires », pour faciliter l’intervention des forces de l’ordre. Mais dans le cas où la police n’aurait pas été saisie, que se passe-t-il ? « Nous n’avons rien à ajouter aux éléments envoyés », réplique le service presse de l’ambassade de France, en lien avec l’AEFE, et son adjoint en charge de la scolarité.

En vérité, « il n’y a pas de protocole très clair, ni de formation », avoue le conseiller consulaire Renaud Le Berre. Face à des accusations sans preuves, bien que l’élu des Français de l’étranger ait deux options, remonter les informations à sa hiérarchie ou porter plainte, c’est souvent la première qui l’emporte. « On préfère régler les problèmes en interne », explique-t-il. Pour plusieurs raisons. Les établissements étrangers sont contraints à une double règle : les lois espagnoles et celles de la diplomatie, pour les établissements français de l’étranger. Un entre-deux qui devient un frein, une crainte ou un confort. « Plutôt que prévenir les autorités publiques locales, ils préfèrent s’occuper de ça en interne. Sans doute aussi par peur du scandale », ajoute l’élu consulaire. Probablement aussi, car la pression médiatique n’a pas la même force que dans l’Hexagone.

Réputation et argent en jeu

Mais tout de même : c’est toute la réputation de la France qui se joue. Et celle d’établissements de haut standing. Le lycée français de Barcelone est une institution reconnue dans la capitale catalane, regroupant 3 000 élèves âgés de 3 à 18 ans, dont 37 % de Français. Divulguer de fausses rumeurs dans une école de cette envergure, reliée au Ministère des Affaires étrangères, c’est donc risquer de perdre gros. Moins d’inscription scolaire rime avec moins de rentrées d’argent. A la manière d’une entreprise, où l’élève serait le client. Que ce soit à Lesseps ou au lycée français de Barcelone, il faut compter une somme d’environ 500 € par mois et par enfant.

Un véritable effort financier que regrettent aujourd’hui les parents témoignant sur Equinox. « C’est une école prestigieuse et au final, on est obligés de protéger nos enfants envers et contre tous », se désole Adélaïde. Obligés aussi de s’accrocher pour faire entendre la parole de leurs petites filles. Sans trop en attendre. « Tous les mails que je reçois sont les communiqués envoyés à toutes les familles. Il n’y a jamais eu un mot pour nous. On se sent écartés« , termine l’un des parents d’une victime au lycée français. Le tout laisse un sentiment amer d’avoir perdu plus d’argent que gagné d’écoute.

Toutefois, l’espoir reste encore permis. Le 27 mars dernier, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères a ouvert une consultation destinée à l’ensemble du personnel, élus, élèves et parents d’élèves, sur l’avenir de l’enseignement français de l’étranger. Jusqu’au 16 avril, la diplomatie française offre l’opportunité de définir les forces et faiblesses du système. De remettre en question, et proposer des améliorations. Faut-il entrevoir un changement ? « On est quand même en 2023 », rappelle Renaud Le Berre, encore choqué des dernières révélations. Il n’est jamais trop tard pour enlever ses œillères.

*prénoms fictifs, en protection des sources.

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