C’est un secret de polichinelle. Il existe des Français vivant en Espagne grâce aux allocations françaises. Pendant de longues années, des millions d’euros sont arrivés dans leurs poches. Mais désormais, la France ouvre la chasse aux expatriés fraudeurs.
Photo : Clémentine Laurent Photographie
« C’est la vie de rêve », expose Stéphane, un Français vivant à Barcelone, dans une enquête diffusée par TMC en 2016. Un quotidien au soleil, dans la capitale catalane, aux frais de l’administration française. 1080 € d’allocations données par Pôle emploi, pour l’aider financièrement le temps qu’il retrouve du travail. L’équivalent du Smic espagnol donc, qui permettait à Stéphane de vivre en coloc, dans un appartement de 180 m² en plein centre de la cité comtale, sans travailler. La vie de rêve, au prix de quelques millions d’euros par an pour la France. Qui s’accentue d’année en année.
Selon le dernier rapport de la Cour des comptes, 18 000 demandeurs d’emploi auraient escroqué Pôle emploi en 2019, dont des expatriés. Et l’année dernière, le gouvernement estimait le montant total des fraudes à 351 millions d’euros. Une somme qui fait froid dans le dos, car calculée uniquement sur celles qui ont été détectées. « On ne va pas le crier sur tous les toits », reconnaît Stéphane, dans le reportage télévisé, avant de donner ses techniques pour percevoir les aides sociales françaises depuis Barcelone. Utiliser un VPN, s’actualiser tous les mois sur la plateforme pour les chômeurs français, et envoyer des CV de temps en temps à des postes inaccessibles pour s’assurer d’être refusé. Pour, enfin, continuer à recevoir tous les mois un virement signé Pôle emploi.
La traque des fraudeurs français à l’étranger
Mais le service public français ne veut plus se faire duper. La chasse aux expatriés fraudeurs est lancée. Mercredi 8 mars, dans une interview donnée à BFMTV, le ministre des Comptes, Gabriel Attal, a donné les grandes lignes du nouveau plan de lutte contre les fraudes fiscales et sociales, dans le cadre de la loi du financement de la sécurité sociale pour 2023. Et il comprend un dispositif particulier pour les Français vivant à l’étranger. À base de traque numérique et administrative.
Tous les moyens seront permis. Les Caisses de sécurité sociale ou allocations familiales peuvent déjà vérifier les factures d’électricité, de gaz et téléphones, les opérations et relevés bancaires, ou encore éplucher les réseaux sociaux. Mais désormais, elles accéderont aussi au registre des voyageurs ayant pris l’avion vers la France. Elles pourront également contrôler, via les adresses IP, les demandeurs d’emploi qui auraient durablement quitté le pays.
Objectif ? Calculer le temps réel passé sur le sol français. Car il deviendra crucial. Pour toucher le chômage, il faudra passer 9 mois en France, soit trois mois de plus qu’auparavant. Les autres allocations contraignent le temps de présence dans l’Hexagone à six mois, pour le minimum vieillesse et allocations familiales, et huit mois pour les aides au logement. D’autant que, selon le règlement de Pôle emploi, toute absence de plus de 7 jours doit être déclarée et un demandeur d’emploi ne peut poser plus de 35 jours de congé par an.
Les risques d’une vie à Barcelone aux frais de Pôle emploi
Toutes ces mesures visent à ne plus payer les vacances à l’étranger aux « chômeurs fraudeurs ». Ou éviter aux Français de profiter de revenus complémentaires. Car certains savent aussi faire bon usage des privilèges de leur pays. Dans un précédent article, un directeur d’entreprise employant de nombreux Français à Barcelone affirmait : « Au début des années 2010, il y avait bien un quart de nos employés français qui touchaient illégalement le chômage en plus de leur salaire ». Des Français de passage, « pas toujours sérieux dans leur travail, et qui rentraient en France lorsqu’ils avaient épuisé leurs droits aux allocations-chômage », ajoute le patron.
Dans un autre registre, bon nombre de retraités à l’étranger profiteraient, aussi, des pensions françaises dites ASPA (Allocation de solidarité aux personnes âgées). Mais tout cela n’est pas sans risque. « Je peux me faire radier complètement de Pôle emploi et donc devoir bosser sans m’arrêter », assurait Stéphane, dans le reportage. Il peut aussi être obligé de tout rembourser, et même écoper d’une amende pouvant aller jusqu’à 30 000 euros, et deux ans de prison. « C’est le jeu, ma pauvre Lucette. »