Barrières rompues, liens facilités, proximité professionnelle. Le tutoiement joue un rôle essentiel dans les relations à Barcelone. La raison, en partie, d’un quotidien plus doux qu’en France. Ces expatriés racontent.
Photo : Clémentine Laurent
Sortir d’un commerce sur un « merci beaucoup, la belle ». Envoyer un message Whatsapp à son propriétaire accompagné d’un « comment vas-tu ? ». Ou encore parler à son banquier de manière informelle. En Espagne, il est de coutume de tutoyer à peu près tout le monde. Seules les personnes âgées y échappent. Alors, lorsque les expatriés français se confrontent à cette norme espagnole, c’est parfois déstabilisant.
« Une fois, j’étais chez l’esthéticienne. Elle me tutoyait et m’appelait ‘mi amor’. Ça m’a perturbé. Je pensais même qu’elle me draguait au début et puis, j’ai compris que c’était normal », raconte Marie, originaire d’Henin-Beaumont dans le Pas-de-Calais. Les termes affectifs comme « guapa » ou « cariño », notamment dans le monde pro, ont aussi perturbé Ana, Dijonnaise de 30 ans. « Mais ça paraît sincèrement plus amical et simple que le vouvoiement français couplé à la bise, qui définit mal les limites. »
Et puis, de toute évidence, elles s’y sont faites rapidement. Comme bon nombre de Français à Barcelone, qui pour rien au monde, ne retourneraient au vouvoiement.
Confiance et relations plus faciles par le tutoiement
« Je ne pourrais plus m’en passer, s’exclame Quentin, 29 ans. Ça permet de créer un lien humain très facilement, sans barrières. » Ce rédacteur originaire de l’Oise, arrivé dans la capitale catalane il y a un an, apprécie surtout la sympathie que le « tu » génère. « Les relations sont plus solides ainsi et ça favorise la confiance », confirme Lydia, 29 ans. Elle, habite ici depuis sept ans, vend des cosmétiques en Espagne et en France, et voit vraiment la différence. Plus facile pour faire des événements. Plus simple pour établir un lien avec des clients. Plus aisé pour discuter. « J’ai moins l’étiquette de vendeuse avec le tutoiement. »
Le schéma s’applique jusque dans le cadre du travail. Pour avoir côtoyé des employeurs français mais aussi espagnols, la Lyonnaise avoue avoir une préférence. « On est au même niveau. Ce n’est pas une histoire de respect, car le statut pro reste différent. Mais avec le vouvoiement, il y a un sentiment de supériorité. »
En Espagne, il est très rare d’utiliser le « vous ». Sauf pour les très hauts placés ou les personnalités publiques, explique Carmen Alén Garabato, professeure de sociolinguistique à l’université de Montpellier. Le tutoiement s’est généralisé dans les années 60, et davantage encore avec la Movida, le mouvement culturel des années 1980, né après la mort du général Franco.
« En France, j’ai du mal à vouvoyer »
Alors forcément, quand sonne le retour au bercail, c’est compliqué de revenir en arrière. « Je viens de rentrer en France, à Montpellier pour reprendre mon poste de cadre de santé. J’ai du mal à vouvoyer mes agents. Parfois un ‘tu’ m’échappe et je vois bien que c’est mal perçu », raconte Céline, 51 ans, après avoir passé quatre années à Sitges en tant qu’infirmière libérale. Comme elle, les expatriés sont nombreux à avoir le tutoiement facile désormais.
Mais au regard, leurs compatriotes français feront comprendre rapidement le besoin de revenir au « vous ». Jusque dans les supérettes ou autres petits commerces, où ne règnent pourtant pas les grandes formalités. Un fait regrettable, créant, selon ces nouveaux Barcelonais, une sensation de rigidité et froideur. Bien française, après tout.