Barreaux cadenassés et fenêtres fermées à double tour. A la Barceloneta, les habitants s’enferment contre l’insécurité. Au détriment de la beauté de leur quartier. Reportage.
« Ici, il y a des barreaux. En haut, il y a des barreaux. Là-bas, il y a des barreaux. » Manel Martínez Vicente n’en finit pas de montrer toutes les grilles qui habillent la Barceloneta. Ici, au bord de la Méditerranée, la Petite Barcelone s’est barricadée au fil du temps. Elle a fermé ses portes, filtré sa lumière intérieure, et cadenassé ses fenêtres. A contre-cœur.
« Vous croyez vraiment qu’on met des barreaux par plaisir ? Personne ne voudrait de ça chez soi ! Mais on n’a pas le choix », s’agace le président de l’association des riverains. A l’intérieur des appartements, la lumière naturelle tant prisée à Barcelone n’est plus qu’ombre rectiligne ou croisée. Et l’accès des balcons se limite à quelques nécessités. Le tout, au prix d’une note salée de quelques milliers d’euros. « Malheureusement, on ne peut pas faire autrement. On doit protéger nos familles. »
« Clairement, on a peur »
Manel Martínez Vicente connaît que trop bien la situation. Des cambriolages, dans son entourage, il y en a eu plein. Télés dérobées, argent, objets de valeur. « Il suffit que le voleur grimpe sur une voiture, ou descende par le toit. Il passe par la fenêtre. C’est très simple et vite à faire ! » Les plus vulnérables habitent au rez-de-chaussé, au premier ou au dernier étage. Ce sont eux qui s’enferment le plus.
« Oui, clairement, on a peur », s’émeuvent María et Juana. A plus de 70 ans, toutes les deux font partie des retraités du quartier qui dorment la boule au ventre. Pour se rassurer, comme pratiquement tous les propriétaires, elles ont sacrifié la beauté de leurs façades. S’accordant parfois des pointes de créativité, pour atténuer l’effet prison. Certains voisins ont tenté le ton sur ton avec les couleurs des fenêtres. D’autres les plantes accrochées. « Ils essaient de rendre ça harmonieux », commente le représentant des riverains.
La sécurité avant la beauté
Alors forcément, lorsque la mairie demande d’enlever leurs barreaux pour des questions d’esthétisme, c’est la goutte de trop. « Les paysagistes disent que ce n’était pas comme ça à l’époque. Evidemment que ça ne l’était pas ! Avant, il n’y avait pas autant d’insécurité. On vivait avec toutes les fenêtres ouvertes. » Le phénomène remonte à une quinzaine d’années à la Barceloneta. Au moment où les incivilités, les bottellones (beuveries illégales sur la voie publique), les appartements touristiques et surtout, les voleurs, se sont multipliés.
Les grilles auront été les seules solutions face à la délinquance. Elles se sont d’ailleurs propagées dans d’autres quartiers comme Sant Andreu, Gracià ou même l’Eixample. Et elles semblent fonctionner. A la Barceloneta, le nombre de délits a baissé de 22 %. Raison de plus pour ne pas faire marche arrière.
« Même en me le demandant, je ne les enlèverai pas. La sécurité passe avant tout. La justice le dit ! » s’exclame Sergio, en levant les yeux sur son appart, qu’il a acheté rue Sant Miquel. Lui qui a toujours vécu ici n’aurait vraiment pas parié sur ce revers de médaille.
Mais Sergio, María et Manel campent sur leur position. Ils sont originaires de la Barceloneta et le revendiquent. Ils ne vivront pas ailleurs. Avec ou sans barreaux. « Si les voleurs s’en vont, je pourrai les retirer. Mais je ne partirai pas de mon quartier à cause des gens qui manquent de civisme », insiste María. S’il y a bien une chose que le temps n’a pas changée dans cet ancien quartier de pêcheurs, c’est son caractère.