Devant les écoles, dans les parcs, les rues…les consommateurs de drogues dures ne se cachent plus. De nuit comme de jour, il n’est plus rare de voir des personnes s’injecter de l’héroïne en pleine rue, inhaler de la cocaïne à même le sol ou fumer du crack en bas de logements où vivent des familles. Une situation devenue intenable pour les résidents, qui assistent impuissants à la dégradation de leur quartier depuis une dizaine d’années.
« Avant, ils le faisaient dans les appartements où ils achetaient leurs doses, ou dans les coins à l’abri des regards. Aujourd’hui, ils le font dehors. Les dealers veulent qu’ils s’en aillent le plus rapidement possible après avoir acheté leur dose. Alors ils se piquent devant tout le monde » regrette Luis, habitant du Raval, et responsable de la plateforme Raval Dream, qui dénonce sur les réseaux sociaux ces problèmes.
Ce père de famille âgé d’une quarantaine d’années s’est installé dans le quartier en 2011, à une époque où le trafic existait déjà, mais ne se voyait pas. Des points de vente ponctuels et des consommateurs qui, en majorité ne dérangeaient pas les résidents. Mais depuis quelques années, Luis a vu le changement s’opérer « au plus fort de la consommation, les services de nettoyage ramaissaient tous les jours plus de 2000 seringues laissées par les consommateurs dans les rues, aux yeux de tous« .
Venus d’ailleurs pour se droguer à Barcelone
Le quartier est devenu ainsi le point de rencontre des personnes qui s’approvisionnent en drogues dures, avec une part importante d’étrangers, venus pour la plupart d’Italie et d’Europe de l’Est « c’est très facile d’en acheter ici, d’autant que pour 5€ on peut se procurer une dose et qu’il y a des narco appartements à peu près partout » déplore Luis, s’arrêtant de parler à l’approche d’un groupe d’hommes qui l’observent de manière insistante.
En à peine 15 minutes de marche à travers les rues du Raval, le père de famille en répertorie une dizaine. Un au-dessus d’un salon de coiffure, un autre à deux pas d’une école, plus loin à proximité d’un centre de soins…Tout le monde sait où ils se trouvent, ce sont d’ailleurs des endroits où l’on passe en accélérant le pas, et en baissant la voix.
Photo : Louise Garcia
Eviter les regards, et ne pas attirer l’attention, ni en portant des objets de valeur, ni en ayant l’air de ne pas savoir où l’on va. Une règle élémentaire à suivre lorsqu’on se rend dans ce quartier, et plus encore de nuit. « Il y a des rues où même moi qui suis résident, je n’ose plus m’y rendre » chuchotte Luis.
Un problème contre lequel la police tente de lutter à travers le démantèlement des points de vente. Depuis le début de l’année, la Guardia Urbana et les Mossos ont ainsi neutralisé 56 narco-appartements dans le quartier, aboutissant à l’arrestation de 59 personnes. « Quand la police les vire, ils savent exactement où aller et reviennent ailleurs pour continuer leur trafic, dans un autre appartement inoccupé qu’ils convertissent à nouveau en lieu de deal » constate Antonio Martinez, président de l’Association des riverains du Raval.
Un numéro a ainsi été mis à disposition par la mairie pour signaler les problèmes liés à la drogue dont sont témoins les passants. L’objectif ? Permettre une intervention rapide d’un éducateur de rue afin d’amener les consommateurs à la salle Baluard (salle de shoot habilitée par l’Agence de santé publique de Barcelone) où ils peuvent recevoir des soins et un suivi. «C’est une bonne initiative, mais les moyens mis en œuvre sont largement insuffisants. Il n’y a que 13 éducateurs pour tout Barcelone. Le temps qu’ils arrivent, les consommateurs sont déjà partis » observe Luis.
Un quartier où l’on ne reste pas
Alors que la mairie vient d’annoncer une augmentation de 20% des patrouilles de police dans le quartier, les riverains restent sceptiques « si on ne s’occupe pas de ces gens qui sont malades, qui ont besoin d’une prise en charge complète et pas seulement d’une salle de shoot, alors ça ne changera pas grand-chose » affirme Claudia, installée depuis 5 ans dans le Raval. « Les dealers font ce qu’ils veulent ici, il y a des immeubles où on ne peut plus rentrer parce qu’ils y font leur trafic. Ça ne fait qu’empirer, et moi je n’ai plus trop d’espoirs » souffle une retraitée.
Photo : @ravaldream
Une situation qui a poussé de nombreuses familles à quitter le quartier ces dernières années. « Parmi ceux qui sont nés et qui ont grandi ici, il ne reste que les personnes âgées. En général, les enfants et les petits-enfants ne vivent plus ici, ils sont partis. Et parmi ceux qui restent, beaucoup n’ont en fait pas le choix. » regrette le président de l’Association des riverains du Raval.
Miné par son image de quartier sale, dangereux, où la drogue et la prostitution règnent, de nombreuses infrastructures culturelles y sont pourtant présentes. Des visiteurs venus d’un peu partout s’y rendent ainsi pour découvrir le Centre de culture contemporaine de Barcelone (CCCB), le Palau Guell, la Casa Aragonès, les théâtres…le Raval est devenu en quelques années l’un des centres névralgiques de la culture à Barcelone.
Photo : Palau Guell
« On a la chance d’avoir des gens qui viennent du monde entier dans notre quartier, mais on n’en profite pas, on ne met rien en place pour que cela devienne une richesse » regrette Luis. Après l’irruption d’un homme aux multiples contusions sur les bras, titubant et tenant des propos incohérents, la conversation s’arrête. Mais le père de famille n’y prête pas attention, il ne l’a même pas remarqué. Ni personne autour d’ailleurs. Les riverains ont fini par normaliser des choses qui ne le sont pas.