En Espagne, rares sont les jeunes à quitter le nid familial avant 30 ans, contre 24 ans en France. Logements plus chers, salaires plus bas et culture de la famille. Voici pourquoi les espagnols peinent à prendre leur envol.
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“J’ai 26 ans et je vis encore chez mes parents.” En France, Oscar serait surnommé Tanguy. Mais en Espagne, ne pas quitter le nid familial avant 30 ans, c’est normal. Selon les derniers chiffres de l’agence de statistiques pour l’Union européenne Eurostat, l’Espagne est l’un des pays où les jeunes tardent le plus à s’émanciper. En moyenne, ils s’en vont à 29 ou 30 ans, contre 23 ou 24 ans en France.
Alors non, l’Espagne n’est pas pour autant un meilleur pays pour se la jouer “Tanguy”. “Certes, on a une grande culture de la famille. Mais si les jeunes partent si tard de chez leurs parents, ce n’est pas vraiment pour cette raison”, déclare Jordi Bonet Marti, professeur en sociologie à l’Université de Barcelone. Pour lui, si la famille importe tant, c’est surtout parce qu’elle amortit ce que n’offre pas le gouvernement. Entre autres.
Les aides sociales plus nombreuses en France
C’est généralement au moment des études supérieures qu’en France, les jeunes partent du foyer familial. Parce que les universités se trouvent à plusieurs kilomètres, qu’elles sont à peu de choses près gratuites et surtout, que les loyers restent abordables. Ou plutôt, “subventionnables”. “En France, il y a beaucoup d’aides. Ici, ce n’est pas le cas”, ajoute Jordi Bonet Marti. Les jeunes Français peuvent effectivement compter sur les allocations logement de la Caisse d’allocations familiales (Caf). Mais aussi, les bourses du Crous, les aides à la mobilité d’Action logement, les appartements à bas prix des résidences étudiantes… Tout cumulés, certains peuvent s’en sortir en ne déboursant quasiment rien.
Mais en Espagne, c’est tout autre chose. Même les résidences universitaires n’arrivent pas à la cheville des prix français. Et le coût de l’université en Espagne peut grimper jusqu’à 6 000 € l’année, contre 300 €, au plus cher, en France. “Moi, je touchais des aides. Celles des bourses universitaires mais c’est tout. Rien d’autre”, explique Pau, 25 ans. Originaire d’un petit village en Catalogne, lui n’avait d’autre choix que de prendre un logement en collocation pour aller à l’université, à 18 ans.
« Économiquement, c’était impossible et ça l’est toujours, de vivre seul”, renchérit Pau, qui a désormais terminé ses études. C’est pourtant à ce moment de vie précaire que beaucoup d’Espagnols ont pu expérimenter la vie en dehors du foyer familial. Partir pour mieux revenir.
Des salaires trop bas pour payer son loyer
“Quand je suis revenu à Barcelone pour travailler, je suis retourné chez mes parents. Et j’y suis toujours”, admet Oscar. Avec son salaire junior, bien moins élevé que ceux de Paris par exemple, le Barcelonais de 26 ans ne peut toujours pas se permettre de louer un appartement dans la cité comtale.“Enfin si, ce serait possible en collocation, mais je préfère économiser pour acheter une maison plus tard ou tout simplement ne pas me priver au quotidien.”
Car en Espagne, le loyer est cher. Selon les chiffres d’Eurostat, les jeunes Espagnols accordent 51 % de leur salaire à leur logement. C’est le pourcentage le plus haut de toute l’Europe.“Les premiers emplois sont précaires. Souvent, ce sont des CDD avec des petits salaires. Et comparé à d’autres pays comme la France ou l’Allemagne, l’immobilier est beaucoup tendu en Espagne”, analyse le sociologue Jordi Bonet Marti.
Alors forcément, Oscar et la majorité de ses amis ont opté pour la stratégie “Attendre d’avoir de l’argent de côté pour s’émanciper”. Et en réalité, ce n’est pas pour déplaire aux parents.“Ils adorent quand je suis à la maison. Les parents en général ne mettent pas du tout la pression pour que les enfants partent”, sourit Pablo. Aussi parce que dans les familles avec une certaine éducation, on privilégie l’achat à la location.
Question de tradition ?
Il ne faudrait pas rompre la tradition. « C’est vrai que la raison est aujourd’hui économique, mais il y a aussi une question culturelle. Parce que même quand les loyers n’étaient pas si chers et que les gens gagnaient bien leur vie, les jeunes restaient chez leurs parents bien plus longtemps qu’ailleurs en Europe », soutient David, thérapeute familial à Barcelone.
Pasqual Tort, agent immobilier depuis 25 ans dans le Born, approuve. Parmi sa clientèle espagnole, les locataires n’ont jamais moins de 25 ans et ceux qui achètent, généralement 35 ans “A l’époque, on s’émancipait que lorsqu’on se mariait et selon ton argent ou ton job, tu pouvais prendre un appartement. Aujourd’hui, si les jeunes ne peuvent ni louer ni acheter, alors ils restent chez leurs parents”.
Et pourtant, la tendance cherche à s’inverser. “Ça fait des années que les jeunes ont bien plus envie de partir loin de chez leurs parents qu’avant. Mais pour des raisons économiques, on ne peut pas”, ajoute Alex, 23 ans, étudiant à Barcelone. Et s’ils venaient à le faire, c’est probablement parce que leurs familles les aident financièrement, estime le sociologue de l’université barcelonaise. “C’est pour ça qu’elles ont un poids important en Espagne”. Alors qu’en France, visiblement, l’Etat remplace le portefeuille de papa et maman.
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