Et si le marché immobilier espagnol, aux prix incontrôlables, n’était qu’une affaire politique ? Moins de neuf mois après la suppression de la loi du gel des loyers en Catalogne, tout s’éclaire. Près de 20 % des députés sont eux-mêmes propriétaires. Révélation sur un lobby aux manettes du Parlement espagnol.
Photo : Clémentine Laurent.
Elle est loin la belle époque du gel et plafonnement des loyers à Barcelone. Celle où, grâce à la loi sur les locations, appliquée entre septembre 2020 et mars 2022, il faisait bon vivre être locataire. L’affaire n’a duré qu’un temps en Catalogne. Le Partido Popular (PP), la droite espagnole, a saisi le Tribunal constitutionnel estimant qu’il n’était pas de la compétence du gouvernement catalan de légiférer les logements.
Cette loi était pourtant très attendue. Dans un marché saturé, elle interdisait les augmentations du prix des loyers. Et selon le syndicat des locataires de Catalogne, elle avait permis d’économiser jusqu’à 58 millions d’euros par an pour les familles qui avaient signé des contrats pendant cette année et demie réglementée.
Mais la droite a obtenu gain de cause auprès du Tribunal constitutionnel, dont certains juges sont d’ailleurs liés au PP. A juste titre, cette loi est actuellement débattue au Parlement espagnol. Et aujourd’hui, la raison pour laquelle le pays peine tant à encadrer ses loyers pourrait bien se trouver sur les bancs de son hémicycle.
Élus et propriétaires de logements
19,2 % des députés sont propriétaires d’appartements en Espagne. Sur ce pourcentage, ce sont les élus des partis politiques de droite Ciudadanos (CS), Vox et Partido Popular (PP) qui sont le plus en nombre. Et juste derrière, se trouve le PSOE, la gauche au pouvoir.
“Quand le parti du Premier ministre Pedró Sanchez (PSOE) bloque la possibilité d’avoir une véritable loi qui limite les augmentations des loyers, les groupes de droite, eux, sont extrêmement contre, bien sûr”, commente Enric Aragonès Jové, porte-parole du syndicat des locataires. Evidemment.
“Les membres du Congrès et en particulier ces deux groupes de droite reçoivent beaucoup plus de revenus locatifs que la population moyenne espagnole.” Selon les chiffres analysés par le pure player NacioDigital, seulement 5,4 % des citoyens possèdent un appartement en location. L’Espagne ferait-elle face à un lobby immobilier tenu par une partie de la sphère politique ? Preuve en est.
¿Sabéis donde están los caseros de este país? En el Congreso.
Una parte muy significativa de los diputados/as de Cs, Vox, PP y PSOE son caseros.
Que no mientan diciendo que la regulación no funciona. Están en contra de regular los precios porque ellos mismos ganarían menos. pic.twitter.com/EhcMtZC6i6
— Javier Gil (@Gil_JavierGil) October 17, 2022
« Eux-mêmes gagneraient moins »
La Catalogne est particulièrement concernée, où 21,2 % des habitations sont des locations. D’après l’enquête, l’élue qui posséderait le plus de logements n’est autre que Mercè Perea, députée socialiste (PSOE) de Barcelone. 13 logements répartis sur toute la province de la cité comtale.
Coup dur pour la maire Ada Colau, qui souhaite faire de la loi des logements son cheval de bataille, “pour contrôler la spéculation ». C’était encore sans parler de Carlos Segura, député catalan Vox, propriétaire de six maisons, et des députés centre-droit catalans de Tarragone, Sandra Guaita et Ferran Bel, avec cinq propriétés chacun.
Alors forcément, du côté des syndicats et des citoyens, les réactions sont vives sur le compte Twitter du militant madrilène Javier Gil. “Maintenant tout s’éclaire”, “il n’y a pas beaucoup d’éthique” ou encore “qu’ils ne mentent pas en disant que la réglementation ne fonctionne pas. Ils sont contre la régulation des prix car eux-mêmes gagneraient moins.”
Contactés, les partis politiques PP et la députée de Barcelone n’ont pas souhaité réagir. Remuer le couteau dans la plaie n’était finalement que l’opportunité d’y voir un peu plus clair.
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