Même après de nombreuses années sur place, nombreux sont les Français de Barcelone qui sont amalgamés à des touristes par les habitants de la ville. Entre sourire et lassitude. Témoignages.
Photos : Clémentine Laurent
« Je vais tranquillement acheter du raisin un samedi matin dans le supermarché en bas de chez moi , je dis juste « hola bon dia » et le caissier me demande directement « Do you want a bag ? ». Stéphane, originaire de Béziers, se désole de toujours passer pour un touriste après quinze ans de vie à Barcelone. Pourtant, le Français affirme faire attention, à la fois à son attitude et au choix de ses quartiers. « Je ne vais jamais dans le gótic ou sur les plages de la ville, je choisis des commerces de quartier dans l’Eixample, pour être sûr d’être traité comme un local et je suis discret dans mon comportement pour ne pas passer pour un touriste festif ».
Comme des dizaines de milliers de Français qui vivent à Barcelone, Stéphane est souvent amalgamé à un vacancier. La phrase : « ¿ Me entiendes cuando te hablo en español? » ou un usage exclusif de l’anglais est souvent le traitement quotidien réservé aux expatriés. « Moi ça me vexe profondément. Je me sens étranger dans mon propre quartier. Être considéré comme quelqu’un qui ne réside pas ici renforce encore le sentiment d’anonymat de la grande ville », analyse Stéphane qui vit dans la Dreta de l’Eixample.
Carole, commerçante, prend les choses un peu moins à cœur . « Je suis mate de peau, alors dans la rue je suis tranquille, mais dès que je parle à quelqu’un avec mon accent de titi parisienne, on m’attaque directement en anglais » confie dans un éclat de rire la quinquagénaire. « Le pire c’est quand je suis avec mon mari. Il est tout blanc, alors on le prend pour un Allemand ». Mais le couple a une stratégie bien rôdée. « Dans une boutique, je rentre la première, je me mets devant lui et je pars dans une longue tirade en espagnol pour éviter toute confusion », s’esclaffe la Parisienne.
Usage systématique de l’anglais
De parler comme à un touriste à ne pas recevoir le même traitement que les locaux, il n’y a qu’un pas selon Carole. » Comme on me prend pour une touriste, j’ai l’impression que l’on m’ajoute les frais de couverts de quatre euros dans certains restaurants. Alors que je possède une boutique de vêtements, le 66barcelone dans le Born et je traite tous mes clients de la même façon, qu’ils soient français, anglais, catalans », souligne Carole qui vit dans la capitale catalane depuis sept ans.
Parler en anglais pour tenter de pigeonner de potentiels touristes, les commerçants catalans s’en défendent énergiquement. « Je parle toujours en catalan pour saluer la clientèle », confie Laura derrière son bar de La Cova Fumada, un établissement historique de la Barceloneta. « Cependant, s’ils parlent entre eux, j’écoute la langue utilisée. Si c’est le français je leur parle dans leur langue, si c’est l’anglais pareil », ajoute t-elle.
Miguel du bar Electricitat reconnait lancer un « good morning » quand une personne blonde et claire de peau entre dans son établissement situé près de la plage de Barcelone. « Ce sont des gens du nord de l’Europe », analyse le commerçant qui cherche par là à rendre service à une population qui ne parlerait pas espagnol. En revanche, sa voisine Meritxell de Cafès Salvador s’exprime directement en anglais quand une personne pénètre dans sa boutique sans la saluer.« Les Anglais sont généralement mal éduqués, c’est à cela qu’on les reconnait », se justifie la vendeuse.
Avec des millions de touristes qui envahissent littéralement la ville tout au long de l’année, les commerçants des zones les plus touchées appliquent souvent la présomption de vacancier à toute personne qui ne leur parait pas catalane. Une sensation renforcée par la très importante présence d’étrangers parmi les résidents de Barcelone. Dans la capitale catalane, un habitant sur cinq est étranger. C’est presque deux fois plus qu’à Madrid ou à Paris.
Certains locaux victimes du phénomène
Le phénomène est devenu si ancré, que même des Catalans « de souche » en sont aussi victimes. Raul, né à Barcelone dans le quartier de Poblesec, confie ne pas pouvoir mettre un pied dans les zones touristiques et commerciales de la ville sans se faire alpaguer en anglais. « On m’invite à des spectacles de Flamenco, à manger des tapas et boire des sangria » s’amuse ce cadre commercial de 40 ans. « Je suis très blanc et blond, alors quand finalement les interlocuteurs se rendent compte que je suis catalan, ils disent en rigolant que je joue à l’étranger », sourit Raul.
Le phénomène de la présomption de touriste semble d’ailleurs concerner toutes les destinations touristiques, à plus ou moins grande échelle. « A Paris aussi on me fait le coup » note Carole. « Si je fais une réservation avec mon numéro de téléphone espagnol, le taxi parisien va commencer à me prendre pour une abrutie, avant de se rendre compte de son erreur quand je vais lui parler » conclut la commerçante.