Les call centers de Barcelone, « exploitation » des temps modernes

Déménager à Barcelone pour vivre de nouvelles expériences, suivre son conjoint, apprendre l’espagnol ou encore goûter au style de vie méditerranéen… Nombreux sont ceux qui arrivent au sein de la capitale catalane et ses alentours, sans emploi ou sans projet professionnel fixe. Alors, la solution des call centers s’impose à eux : embauche rapide et sans prérequis particulier. Mais parfois l’expérience peut virer au fiasco.

Photo : Archivo EFE / Ana Escobar

« J’ai vu énormément de personnes partir en arrêt maladie pour dépression. Sur une équipe de 70, plus d’un tiers s’étaient arrêtés », témoigne Ana, qui a travaillé trois ans dans un call center à Barcelone. Comme elle, plus de 18 000 personnes travaillent dans un centre d’appel en Catalogne, où de nombreuses entreprises françaises se sont installées afin de constituer des équipes multiculturelles, mais pas que.

Travailler beaucoup pour un faible salaire

C’est surtout la possibilité de faire travailler davantage les employés (40 h en temps plein en Espagne contre 35 h en France), tout en les payant moins (1050 € pour le salaire minimum brut espagnol, 1670 € pour le SMIC français), qui pousse ces entreprises à s’installer en Espagne. Des rythmes de travail soutenus sont alors imposés, menant souvent à l’épuisement. « On enchaîne les appels, les emails, les WhatsApp, parfois les trois en même temps. Ce ne sont pas de bonnes conditions de travail, en tous cas jamais sur le long terme. C’est d’ailleurs pour cela que le turn-over est énorme dans ce genre de boîte », explique Ana.

Call Center Français DépressionDes emplois du temps très flexibles et connus peu de temps à l’avance, la difficulté d’avoir une vie sociale en dehors du travail, et des chefs toujours plus exigeants : des conditions de travail qui conduisent les employés à démissionner au bout de seulement quelques mois, d’autant que le salaire ne dépasse parfois même par les 1100 € par mois pour 40 heures de travail. Par ailleurs, ces emplois, prisés par les jeunes récemment installés en Catalogne, ne sont bien souvent pas pris au sérieux. « Beaucoup viennent ici pour faire la fête et du coup on se retrouve avec des personnes non fiables, toujours en retard ou encore embrumés de la veille », constate Damien, qui a travaillé en call center pendant 3 ans et demi.

Pour autant, rien de quoi mettre en danger l’équilibre de ces entreprises. « Il y a beaucoup d’absentéisme, mais en fait ils n’en ont rien à faire. Ils sont là, ils t’exploitent pendant quelque temps, et après quand tu pars il y en a toujours d’autres qui arrivent », analyse Sophie, télétravailleuse dans le nord de Barcelone. En effet, si le turn-over au sein des call centers est beaucoup plus élevé qu’ailleurs, ce n’est pas un problème : il y aura toujours des candidats, et en nombre, pour venir occuper les postes vacants.

Pratique à court terme, ingérable sur le long terme

L’expatriation est souvent difficile dans les premiers mois, notamment avec le côté administratif, qui peut rapidement devenir un casse-tête en particulier lorsqu’on ne maîtrise pas encore bien la langue. Alors ces entreprises, en plus d’embaucher très facilement, peuvent parfois être d’une aide précieuse pour ces démarches. « Ils permettent une meilleure installation dans le pays et facilitent souvent mais pas toujours l’obtention des documents nécessaires à la vie sur place (NIE, padrón, sécurité sociale, carte de Catsalut) », explique Ana.

Mais sur le long terme, le travail en call center pèse sur le moral, en témoigne Jules, après 3 ans d’expérience. « L’un des plus gros points négatifs, c’est le manque de considération. En tant qu’agent tu as le ressenti de n’être qu’un numéro, et ce qui m’a fait partir c’est le manque de sens. Travailler en mode robot pour envoyer des mails ou passer des calls pour des boîtes qui font des milliards de chiffre d’affaires pour un salaire de misère, à terme cela devient déprimant et ce n’est pas possible ».

Call Center Emploi Français CatalognesÀ cela s’ajoute un environnement de travail oppressant et une pression constante exercée par les responsables. « On est sur des plateaux où il y a 20 à 30 personnes, on est comme dans des cages, et dès qu’on se lève pour aller aux toilettes ils nous contrôlent. C’est contradictoire parce qu’ils veulent des services de qualité et vu les conditions qu’ils nous donnent c’est très compliqué de faire de la qualité », explique Sophie.

Un « travail pour étudiants »

Beaucoup parlent ainsi d’un travail pour étudiants, à n’exercer que temporairement, au risque de voir sa santé mentale et physique se dégrader. Bien sûr, il existe des call centers dans lesquels les employés n’ont pas à supporter ces conditions et où les employés restent sur le long terme, à l’image d’Antoine, qui travaille pour un centre d’appel au cœur de Barcelone depuis plus de sept ans. « Nos bureaux sont sur 3 étages en bord de mer, avec terrasse, salle de ping-pong, yoga et boxe. C’est une organisation qui veille au bien être des employés, on est dans des conditions optimales ».

Mais les témoignages dans leur grande majorité font état de droits du travail pas toujours respectés, de stress permanent qui mène à l’épuisement, conduisant nombre d’entre eux à chercher rapidement un autre emploi. Malgré la solidarité entre collègues, beaucoup se sentent « exploités » dans un système qui les oppresse. « Ça s’appelle le capitalisme », conclut l’une des travailleuses interrogées. Et ce n’est pas prêt de s’arrêter.

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