Eugenia, dans le Raval depuis 70 ans : « la plupart des gens nés ici sont partis »

Quartier central de Barcelone, à proximité des lieux culturels les plus importants, le Raval intrigue. Animé mais mal fréquenté, authentique mais sale, digne d’intérêt historique mais à éviter le soir…les commentaires les plus négatifs comme les plus élogieux peuvent être faits sur ce quartier si particulier de la capitale catalane. Pour mieux comprendre son évolution, Equinox est allé à la rencontre d’une de ses plus anciennes habitantes.

Il n’est pas encore 10 heures du matin que les rues du quartier du Raval sont déjà remplies, comme un jour de fête. Un taxi vient de déposer une famille d’Allemands devant leur hôtel, des personnes âgées reviennent du supermarché, trois jeunes hommes déchargent un camion rempli de sodas. Ici, on y vient pour travailler, pour faire quelques achats, et surtout pour accéder aux Ramblas, cœur de Barcelone. Le Raval, on y est de passage mais on n’y reste pas. Ou du moins, on n’y reste plus beaucoup.

RavalIls sont aujourd’hui une minorité à ne pas avoir quitté leur quartier d’origine, à l’image d’Eugenia. Comme tous les mardis matins, elle est allée au marché acheter ses légumes, une occasion pour elle de retrouver ses amis du Raval qu’elle connait depuis plus de 70 ans. Originaire de la province d’Avila dans le centre de l’Espagne, elle s’est installée ici lorsqu’elle avait à peine 20 ans. Et depuis, cette Catalane d’adoption n’a jamais quitté son quartier « Je ne changerais pour rien au monde ! J’ai toute ma vie ici, dès mon arrivée ils m’ont super bien accueillie. Je me suis mariée à un Catalan, ma famille est catalane et j’ai toujours été très heureuse ici » explique-t-elle.

Pour autant, cette retraitée de Correos admet regretter l’évolution qu’a vécu le Raval. Autrefois quartier convivial où tout le monde se connaissait, il a connu une rapide tranformation dans les années 2000 avec l’arrivée du tourisme de masse, perdant son âme d’antan. « Avant, quand on allait acheter quelque chose, on se connaissait tous les uns les autres, on se parlait, on échangeait. Aujourd’hui, on ne connait plus personne. Beaucoup de gens venus de l’étranger se sont installés, et c’est comme ça que cette ambiance chaleureuse s’est perdue peu à peu. Maintenant, il n’y a presque plus d’Espagnols ici« .

Joyeux le jour, dangereux la nuit

Alors qu’autrefois des fêtes de quartier réunissaient tous les riverains pendant plusieurs jours dans les rues du Raval, grandes tablées et décorations réalisées par les habitants donnaient vie à ce qu’elle appelle « le petit village de Barcelone », cette époque est révolue. « C’était très plaisant et joyeux ici. On allait rue Cadena, chacun amenait ce qu’il pouvait et on partageait. La fête du quartier c’était la chocolatada, on venait tous manger du chocolat ! Maintenant tout ce qui est organisé c’est pour les touristes, il n’y a plus grand chose pour nous. Et puis la plupart des gens nés ici sont partis« .

Il faut dire que ses rues sombres, bruyantes et réputées pour être des endroits où la drogue et la prostitution font la loi le soir, ne donnent pas envie de s’y installer. Eugenia reconnaît ne plus sortir à la nuit tombée « C’est devenu dangereux, il faut faire très attention. Le soir, tant que je ne suis pas rentrée chez moi, je ne suis pas tranquille« . Pourtant, le Raval sans ses problèmes d’insécurité aurait de quoi séduire. Quartier historique vivant, animé, abritant de nombreux ateliers artistiques, cafés, restaurants ou encore boutiques de proximité, le Raval ne s’est peut être pas complètement perdu.

raval carnaval opt e1658854094219A l’image de Barcelone, il a connu une fulgurante évolution depuis une vingtaine d’années, s’est internationalisé, et est devenu un centre névralgique de la culture. C’est d’ailleurs peut-être pour ça que Eugenia, nostalgique d’une époque révolue, n’a jamais quitté son quartier d’adoption. « Malgré tout, j’aime l’ambiance du Raval. Ici, si tu as besoin de quelque chose tu trouveras toujours quelqu’un pour t’aider. Alors oui, il y a des choses mauvaises, mais comme partout, et ce n’est pas nouveau. Le jour où je le quitterai, ce sera quand il faudra m’enterrer !« . Et c’est sur cette pointe d’ironie que la nonagénaire reprend son chemin en direction de l’église de Sant Agusti, comme elle a l’habitude de le faire depuis plus de 70 ans.

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