Si elle semble être une alliée pour supporter la chaleur de Barcelone, la climatisation fait en réalité augmenter la température à court et à long terme à l’extérieur. Un véritable défi à relever, face au réchauffement climatique.
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C’est un réflexe, pour qui a la chance d’en avoir une à Barcelone. Lorsque les températures grimpent, il suffit d’appuyer sur un bouton et la climatisation diffuse une agréable fraîcheur qui permet de supporter l’été sans trop de difficulté. Mais son utilisation n’est pas sans conséquence. En réalité, elle fait même augmenter encore la chaleur à l’extérieur, un véritable non-sens et un cercle vicieux qui pourrait mener à utiliser encore plus la climatisation.
Car si les appareils d’air conditionné soufflent de l’air froid, à court terme, ils réchauffent l’extérieur : pour fonctionner, la machine aspire l’air de la pièce, le refroidit grâce à un liquide frigorigène et rejette l’air chaud à l’extérieur. Ce qui n’est pas anodin, et peut même faire augmenter la température dans la rue. Une étude menée à Paris par le CNRS et Météo France, et publiée en 2012, a démontré que l’air extérieur pouvait gagner entre 0,25 et 1 degré à cause de la présence de climatisations, et en particulier durant la nuit. “En 2030, s’il y a deux fois plus de climatiseurs, l’augmentation serait de 0,5 à 3 degrés supplémentaires à Paris”, alerte Stéphane Merlaud, conseiller info et énergie à l’agence parisienne pour le climat sur Franceinfo.
La chaleur grimpe, à Barcelone…
Et si Barcelone n’a pas encore fait l’objet d’une étude similaire, on peut considérer qu’elle fait face au même problème. Même si elle possède moins d’habitants que Paris (1,6 million contre 2,1 millions en 2021), les appareils d’air conditionné sont plus nombreux en Espagne qu’en France et plus de la moitié des logements barcelonais en sont équipés. De plus, les températures à Barcelone sont plus élevées et durent plus longtemps qu’à Paris, ce qui peut faire augmenter l’utilisation de la climatisation.
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Et l’endroit idéal pour surveiller la température à Barcelone est l’Observatoire Fabra. Situé sur le Tibidabo, il possède une station météorologique qui garde un œil sur le thermomètre de la ville. Pour les scientifiques qui y travaillent, les nombreuses climatisations de Barcelone produisent bien de la chaleur, mais qui est “diluée dans l’air un mètre ou un mètre et demi” après son rejet dans la rue. Le véritable problème serait plutôt la structure même de la ville, en particulier certains quartiers, qui conservent bien trop la chaleur à cause de “la composition des matériaux de construction et le manque d’espaces verts”. Au final, même si la chaleur rejetée peut être dissipée, la structure de Barcelone ne facilite pas toujours l’évacuation de la chaleur, bien au contraire.
… et dans le monde
Mais les appareils d’air conditionné ne réchauffent pas l’atmosphère seulement au moment où ils fonctionnent. S’ils sont mal recyclés, ils peuvent rejeter des gaz à effet de serre bien plus puissants que le traditionnel CO2, et même abîmer la couche d’ozone. Bien que des efforts soient faits par les constructeurs pour remplacer les fluides frigorigènes très polluants par d’autres un peu plus doux, ils restent généralement des gaz à effet de serre, comme par exemple le fluide frigorigène R 410 A (dit “HFC”), dont l’action sur l’effet de serre est 2088 fois plus importante que le CO2. On retrouve également le fluide R32, 600 fois plus polluant que le CO2.
En soi, si le circuit de l’air conditionné installé est bien fermé, il ne rejette pas de gaz lorsqu’il est en fonctionnement. En revanche, le gaz peut s’échapper lors d’un mauvais recyclage, ce qui est malheureusement encore monnaie courante. En Espagne, seulement 33 % des appareils de ce type sont recyclés. Et l’échappement de ces fluides frigorigènes représenteraient 11 % de toutes les émissions de gaz à effet de serre dans le monde, selon l’Organisation météorologique mondiale (2017).
La climatisation, énergivore
Ces dernières lignes pourraient mener à penser qu’il suffirait que le recyclage des climatisations soit correctement effectué par les installateurs pour résoudre le problème des émissions de gaz à effet de serre. Mais ce n’est pas la seule pollution que génèrent ces appareils. Leur fonctionnement est très gourmand en électricité, et on remarque une corrélation entre les pics de chaleur et les pics d’utilisation de l’électricité, comme lors de la canicule de 2003. Et la production d’énergie n’est pas 100 % verte, ni en Espagne ni en France. Dans la Péninsule ibérique, le charbon représente encore presque 2 % de la production totale en 2021, et dans l’Hexagone 7,8 % de la production d’électricité en 2021 n’était pas “décarbonée”.
L’électricité pollue donc encore, et par le même biais, les appareils à air conditionné aussi. Et l’émission de gaz à effet de serre est responsable du réchauffement climatique : le dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) parle d’une augmentation de 1,5 degré en 2030, et d’entre 4 et 6 degrés en 2100 si rien n’est fait. “Cela veut dire que si on augmente notre utilisation de l’air conditionné aujourd’hui, cela participera au réchauffement climatique, qui nous incitera à encore augmenter la climatisation, etc.”, résume Aurelio Tobías, épidémiologiste environnemental et chercheur à l’institut de Diagnostic environnemental et études de l’eau (IDAEA) à Barcelone, et au Conseil supérieur de la recherche scientifique.
Or, pour faire face aux vagues de chaleur actuellement, il n’existe pas beaucoup d’autres solutions à court terme que l’air conditionné. N’y aurait-t-il donc pas de solution ? Pour le scientifique, elle réside surtout dans un changement des politiques globales, que ce soit à Barcelone, en Espagne et même dans le monde.
“Les mandats ne voient que les résultats à court terme, alors qu’il faut prendre des décisions qui auront un impact à long terme. Il faut réaménager efficacement les villes pour qu’elles retiennent moins la chaleur et soient plus fraîches, avec plus d’arbres, plus d’espaces verts, plus de points d’eau, des bâtiments bien isolés et durables, un revêtement de sol qui ne chauffe pas…”, tout en s’appliquant à verdir la production d’électricité espagnole et mieux recycler les appareils à air conditionné. Car face à la chaleur, éteindre totalement la climatisation et suffoquer n’est pas une solution non plus pour les Barcelonais.
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